Carte blanche – troisième échéance 2017

Pour la prochaine échéance, comme qui dirait le prochain examen de théâtre, nous avons carte blanche. On fait ce qu’on veut, en terme de mise en scène, d’écriture ou de jeu. On peut faire des chansons, de la danse, du non-verbal, n’importe quoi qui nous fait plaisir en 5 minutes maximum. On ne le travaille pas directement avec le prof, pour lui aussi c’est une surprise. C’est donc à nous de travailler ensemble, de se donner mutuellement des conseils, de mettre en scène ou de se faire mettre en scène. Un travail collectif qui permet aussi de créer des groupes, de la cohésion et d’apprendre à mieux nous connaitre entre nous. 

Après avoir hésité à présenter un sketch, dont je n’arrivais pas à trouver le personnage alors que c’est ma propre écriture, un comble tout de même, j’ai finalement décidé de montrer quelque chose de plus personnel, moins léger et sans doute plus nécessaire.

Le texte suivant est né de la fusion de plusieurs prises de notes, tout au long de cette année, des choses à dire, jamais dites et pourtant si importantes. 

Je n’ai pas de titre définitif, pour l’instant ça s’appelle « Elle(s) »


Idée de mise en scène

Assis seul devant une petite table, un peu avachi, un sourire goguenard sur le visage, il attend. Rien pendant un long moment. Le sourrie s’efface lentement. 

Ça fait une heure et demi que je regarde mon téléphone en attendant un message de ta part. J’attends, je t’attends, un signe, un espoir, une suite. La communication est coupée, suspendue, à tes doigts, à ta volonté. Je me pose des questions. Tu joues avec moi, avec mon cerveau, qui part en roue libre. Où est-ce que tu es ? Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi tu me fais mal ?

Je t’aime putain, je t’aime. Je t’aime, je te le crie, je te l’écris, je te le dis, je te le redis, je te le raconte, et tu m’abandonne. Cet écran vide me blesse, m’abaisse, me rabaisse, m’empêche. J’ai peur. J’ai peur que tu ne sois plus là, que tu sois ailleurs (avec quelqu’un d’autre ?), à faire autre chose. Réponds-moi. Merde. Qu’est-ce que je t’ai fait ? Pourquoi tu me fais ça ? Qu’est-ce que je suis pour toi ?

Une femme apparait, de dos, on ne voit pas son visage. Elle regarde le protagoniste, les mains jointes devant elle, sans bouger.

Tu me laisses en galère au bord de la falaise. Tu me tenais la main et tu m’as lâché. Dans un instant je vais tomber, je vais basculer, je pars en chute libre, une chute longue, interminable, douloureuse. Mortelle.

Je t’en supplie, fais sonner ce téléphone. Je veux une vibration, une notification, une lumière qui clignote. Est-ce que j’ai du réseau ? La lumière baisse légèrement. Si ça se trouve j’ai pas de réseau ! Si ça se trouve, j’ai plus de réseau ! Je suis déconnecté, coupé du monde, je suis tout seul, comme ça, d’un coup. J’ai beau crier, j’ai beau tomber il n’y a personne, il n’y a plus personne. Je tape à la fenêtre, on ne m’entend pas, la vie continue, sans moi.

Si ça se trouve c’est toi qui n’a pas de réseau. Ou alors plus de batterie. Mais oui c’est ça ! Tu n’as plus de batterie ! L’électricité s’est dissipée et tu cherches désespérément à la retrouver, tu cherches une prise. Tu cherches partout, tu supplie pour quelques volts et ampères, tu mendie du jus.

En imitant une femme qui cherche. La silhouette féminine fait les mêmes mouvements.

« S’il vous plait je peux me brancher quelques minutes ? C’est pour répondre à mon copain, il attend une réponse, il a demandé quelque chose d’important, il a dit qu’il m’aimait, il a demandé si je l’aimais mais »

Mais-mais-mais quoi ? Quoi mais ? Il y’a toujours des mais, un tas de mais, des petits mais, des gros mais, des mais à moi et des mais à toi. Des mais à toi. Sans doute autant que moi. On n’est pas aligné. On n’est pas aligné parce qu’on peut pas être aligné, trop de mais. Qu’est-ce que les gens diraient ?

Un temps

Tu sais pourquoi je fais ça ? Non ? Tu sais pas ? Parce que t’es pas celle que je pensais. T’es pas la déesse de feu que pensais, celle que je mettais sur un piédestal, celle que j’admirais, celle que j’aimais mais que je ne voulais pas toucher sous peine de perdre le sacré, celle que je ne voulais pas salir, celle que je respectais. Ben non, t’es pas tout ça. Mais c’est pas de ta faute on m’a dit, c’est l’âge on m’a dit, c’est normal on m’a dit. Voilà. Normal. En fait, t’es normale. Et c’est la pire chose qui puisse arriver.
Alors maintenant laisse-moi tranquille, laisse-moi tout seul, j’ai perdu quelqu’un que j’aimais, elle est partie, et j’ai besoin d’être seul.

La femme part

J’ai mal. J’ai cette boule au ventre qui ne veut pas disparaître, qui appuie sur mes tripes, ce poids sur la poitrine qui bouge comme si un tas de tentacules me fouillait lentement de intérieur, ça me remue comme la marée remue la vase faisant remonter des remugles nauséabonds. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai dit ? C’est cette fille ? C’est ça ? C’est elle ? Mais c’est une amie ! Juste une amie. Tu peux pas me reprocher d’être ami avec elle. Tu n’as pas le droit. Tu ne sais pas. Pas de contexte. Tu ne peux pas comprendre. Et c’est pas grave, de ne pas comprendre. Fais-moi confiance. Fais-moi confiance comme moi je te fais confiance. La confiance c’est ça qui est important. Moi je te fais confiance. Je te fais confiance avec ma vie. Avec mes sentiments. Avec mon amour. Je t’ai rien caché, je t’ai tout dit. De ma vie d’avant, de mes rencontres. Je me suis ouvert, je t’ai montré la construction, l’empilement, le squelette de mon âme. Y’a pas de protection, pas de peau, pas de chair, pas de muscles pas de graisse pour me protéger. D’un geste, d’un simple geste tu peux me tuer, tu peux éteindre ma flamme, tu peux me détruire. Ou m’aimer . C’est toi qui décide.

Ding

Le protagoniste se précipite sur le téléphone, regarde le message, reste impassible.

Noir

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