Désolé de reprendre l’écriture de ces articles aussi tard, j’ai récemment eu pas mal de changement dans ma vie personnelle autant que dans ma vie professionnelle, et je n’ai pas pu continuer cette série. Je reprends maintenant, en espérant pouvoir au moins écrire les articles de toute la première année et les diffuser dans les prochains jours.
En ce début d’année, les cours sont principalement axés sur les exercices et les « jeux ». Ils nous permettent de comprendre de manière ludique un certain nombre de notions fondamentales comme l’adresse (comme lorsqu’on s’adresse à quelqu’un), la manipulation de l’énergie (un truc un peu indistinct au début mais qu’on ressent de plus en plus au fur et à mesure de l’apprentissage, comment on arrive avec une certaine énergie sur scène, comme on la reçoit et comment on la renvoie vers ses partenaires, comment on remonte une energie qui se dissipe et comment éviter de la perdre), mais aussi la respiration, la concentration, la tenue et des tas d’autres choses dont je ne soupçonnais même pas l’existence.
Parallèlement à ces exos, on travaille chacun une scène en plus. Etant arrivé avec un mois de retard, je n’ai eu que très peu de temps pour me préparer. Pour cette échéance, l’ensemble des élèves devait travailler un assemblage tiré de la pièce « Elvire Jouvet 40« . Cette pièce montre une série de cours de Théatre de Louis Jouvet où il apprend à une jeune comédienne comment jouer le personnage d’Elvire dans Dom Juan. Une pièce sur un cours de Théâtre, j’aime bien l’aspect meta.
On commençait plutôt simplement, chacun devait jouer soit Jouvet, soit Claudia (l’actrice jouant Elvire) et dire quelques phrases avant de laisser la place à quelqu’un d’autre.
« Ok, maintenant tu fais de la boxe. Fais de la bose je te dis, là tu ne fais pas de la boxe, tu fais semblant. Bon maintenant tu fais ton texte, allez ! »
J’ai eu un mal de chien à apprendre ces quelques lignes. Entre mon propre texte qui ne voulait pas rentrer et les quelques lignes de Jouvet que je n’arrivais à fixer, ajouté au stress d’un premier examen, je n’en menais pas large.
Mon professeur nous donnait des astuces, que j’utilise encore aujourd’hui. L’une d’entre consiste à être dans un état de difficulté physique. Aussi bien pour l’apprentissage que pour le délivrer sur scène. Je l’explique ainsi : nous avons une sorte de résistance mentale, une pudeur, qui nous empêche d’être serein, tranquille, libre. La difficulté physique permet d’abaisser cette barrière en focalisant l’attention ailleurs que sur la délivrance du texte. Par exemple, faire de la boxe m’obligeait à me concentrer sur mes mouvements, et dire le texte venait plus naturellement. De la même manière l’apprentissage est plus facile (pour moi) si je pratique une activité physique en même temps, un jogging par exemple, ou me mettre en chaise contre un mur. Sans doute une histoire d’oxygénation du cerveau.
Quelques jours après est venue l’échéance, un peu brutalement, et avec sans doute beaucoup trop peu de préparation en ce qui me concerne.
Le Jouvet est pour moi un échec cuisant, je me trompe dans mon texte alors qu’il est si court, et même avec l’autorisation du professeur de me munir de mon texte à la main, cela reste bringuebalant.
Le texte personnel est lui un poil mieux, très envoyé, très crié surtout, je suis resté dans le personnage, ce qui est déjà ça. C’est bien mais pas top. Un début.
C’est en voyant les autres que je m’aperçois d’où je pars. De loin, de très loin. Certains ont déjà plusieurs années de théatre amateur derrière eux, d’autres ont l’air plus à l’aise et même si tous le monde flippe un peu, ça se passe bien.
« Le théâtre n’est pas un endroit où régler ses problèmes, ce n’est pas le salon d’un psy »
C’est aussi à ce moment que je commence à parler avec les gens, à en apprécier certains, à rester indifférent à d’autres. Et puis les textes de chacun aussi. Il y a des chansons, des trucs barrés comme des expériences d’usage de drogue ou un texte enlevé sur la sexualité dit par une fille qui ne donne absolument pas l’air d’y toucher, mais aussi un gars qui vient de parler des difficultés sociales qu’il a pu ressentir à cause de sa main atrophié (étant moi-même touché par un problème à la main, je n’ai pu qu’être touché par ce texte), et bien d’autres choses. C’est marrant de voir comme à chaque fois qu’on laisse la possibilité à un acteur de jouer un texte choisi par lui, on tombe à chaque fois sur des trucs très perso, on a envie de s’exprimer, de dire ce qu’on est, ce qu’on ressent, ce qui nous travaille et nous empêche parfois d’avancer. Pas tous le temps non, mais souvent. Un truc de psy, et quoi qu’en dise mon prof, même si on est pas chez le psy, le théâtre permet de s’exprimer de manière très personnelle sans être jugé, on peut finalement être soi-même alors qu’on est quelqu’un d’autre sur scène.