Disclaimer : Je reçois pas mal de message pour me demander si tout va bien, d’amis ou de presque inconnus qui ont l’air de trouver ces textes tristes et qui se font du souci. Merci, c’est très gentil de votre part mais sachez que j’écris avec beaucoup de recul, que c’est quand même légèrement romancé, notamment la chronologie n’est pas forcément exacte je m’essaie à un style particulier et que l’idée est de partager une expérience avec mes lecteurs, ni plus ni moins.
C’est pas vrai que j’ai arrêté facebook et twitter, j’ai juste réduit. Je mens, je me mens. A cette époque je rencontre un mec qui arrive sur Paris, un rôliste. On fait quelques parties ensemble, on accroche bien, un mec super, entouré d’amis. J’ai besoin de ça, de changer de joueurs, de changer d’amis, de voir du monde. On enchaine les soirées, on boit, beaucoup, on rigole, beaucoup aussi. Ses potes sont géniaux, toujours à se marrer, à ne rien prendre au sérieux. Ça parle de jeu bien sûr, mais aussi de la bière (un nouvel univers qui s’est ouvert à moi), des meufs (ça gravite, ça s’échange, ça s’amuse, ça tinderise), et de la vie.
Ça dure quoi ? Un an ? En un an j’ai plus appris et je me suis plus amusé que lors des dix dernières années. C’est ça qui me faut, de l’alcool, des potes et des rencontres. Je découvre les sites de rencontres, Tinder d’abord et OKCupid ensuite. Je suis très mauvais à ce jeu. J’ai peur, je ne sais pas lancer une conversation, j’ai peur de rencontrer des gens dans un environnement que je ne maitrise pas, sans le confort de la soirée et des autres potes au cas où tu n’aurais rien à dire.
« Prends ça comme un jeu ! »
J’y arrive pas. Derrière y’a des vrais gens, de vraies filles. Je ne sais pas ce qu’elles cherchent, sur le net comme dans la vie, je ne sais pas reconnaitre les signaux, rien n’est clair. Quand je pense qu’il y a moyen, je me prends un mur, un râteau, un non ferme, sympa, mais définitif. Alors je n’y vais pas, plus, alors je parle beaucoup pour cacher ma timidité. On me trouve gentil, marrant, mais c’est tout.
Sur OkCupid je m’amuse un peu. Y’a des quizz, des tas de questions pour connaitre ta personnalité, et puis si la personne en face répond de manière similaire tu vois sa tête, son profil et un pourcentage de match. Je tombe sur une fille qui matche à 99%, j’aime bien ses photos et ce qu’elle raconte, elle a les pieds sur terre, engagée, et aux mêmes centres d’intérêt que moi. Allez, putain, j’y vais. Plutôt qu’un bête « salut » que les nanas doivent recevoir cinq cents fois par jour, j’écris un vrai message, je m’appuie sur son profil, sur le mien, un peu d’humour, et puis j’appuie sur Envoi. Et j’attends. Pas longtemps.
« Ah oui tiens, et au fait, va crever !»
Ouais c’est sûr, j’avais pas fait gaffe. Dans son profil, dans un coin, il y’avait écrit : « Ne pas me contacter ». Probablement que j’étais passé dessus sans percuter, tout à ma concentration, à tenter de dépasser ma peur. En attendant sa réponse fut tout aussi longue que mon message mais radicalement différente. Une volée de bois vert dont la violence trouvait son climax dans cette simple phrase, va crever. Tu parles d’une expérience.
Sur Tinder, je ne contacte personne, jamais. Trop peur qu’il ne se passe rien, pas de réponse, mon message noyé dans un océan d’autres messages de mecs tous plus cons les uns que les autres. C’est ça les sites de rencontre en fait. Côté filles c’est un carnage, une avalanche de mecs en chiens, de tordus de toutes sortes, de manque de respect total. Et puis l’une d’entre elle me contacte. Je suis fatigué, j’enchaine les banalités. Je finis par lui donner rendez-vous dans un bar à bière que j’aime bien. Elle ne ressemble pas à la photo, personne ne ressemble à sa photo. C’est ma première rencontre internet de toute ma vie. Je ne sais pas faire. Je sais pas détourner une conversation, sexualiser, je ne sais même pas ce que je veux en fait. Je m’aperçois que je suis là, mais je ne me projette pas. Comme d’habitude ma tête tourne à fond de train, explorer dix mille possibilités, autant de scénarios. Aucun ne me convient, aucun ne m’amuse. Alors je parle, de tout et n’importe quoi. Je fais que parler, parler, parler. Je m’arrête uniquement lorsqu’elle va fumer. Je ne me rends même pas compte que je parle autant. Je suis tellement à l’ouest que je suis même plus capable de lire son regard, de comprendre que je l’emmerde. Elle est gentille. On finit par se dire au revoir comme ça là, près de sa voiture. Puis plus rien.
Une autre me contacte. Idem, je me dis que ça va aller mieux. Elle ne ressemble pas à sa photo non plus. Je lui dit que j’aime les brasseries, elle a l’air super contente et accepte de me rejoindre. Chouette une buveuse de bière. J’avais mal compris. Elle boit pas de bière, elle trouve que ça sent le vomi. D’ailleurs je parle trop, heureusement que je ne me drogue pas me dit-elle, qu’est-ce que ce serait sinon. Elle n’est pas bien maligne pour une infirmière. Je passe trente minutes à lui expliquer que les œufs du supermarché, si on les laisse longtemps, ben ça fait pas des poussins. « Soirée sympa mais ça va pas le faire, qu’elle me texte le lendemain. Ok je lui réponds. »
Là ce n’était pas de ma faute.
Je laisse tomber les rencontres sur Internet. Je n’y comprends rien. Mes copines me racontent toutes des trucs absurdes, des rencontres improbables, un défilé de tarés, et dans ma tête je hurle « mais je ne suis pas comme ça, moi, je suis gentil moi ! », mais je dis rien, j’acquiesce à chacune de leurs histoires. Tant pis.
Les vacances scolaires se passent, lentement. Je suis seul. Je m’emmerde. Je surfe sur le net à la recherche d’un truc à faire, d’une activité qui pourrait m’amuser en septembre. J’ai réduit le jeu de rôle, ouais quasiment abandonné en fait, mais peut-être que cette compétence pourrait me servir après tout. Trente ans à imaginer des histoires, ça doit bien pouvoir se recaser. Il y’a une troupe d’impro à côté de chez moi, les impropothame. Le nom me fait marrer, les gens ont l’air d’amateurs avertis. Les engrenages dans mon cerveau se réenclenchent. Pourquoi juste de l’impro ? Pourquoi pas du théâtre ? Il n’y a pas de vrai cours à côté de chez moi mais il y’en a à Paris.
« Allo Jerem, je suis sur le site de cours Florent. C’est marrant, y’a un stage d’accès dans quelques jours. T’imagine si je fais du théâtre! »
Le lendemain mon ami me rappelle : « je suis inscrit, et toi ? » MOI ? Mais ! Je ne t’ai pas demandé de t’inscrire ! C’est compliqué les cours ! Puis c’est loin ! Puis ça prend du temps ! Puis comment je fais avec les enfants ! Et le prix ! Foutues barrières encore.
Il est inscrit et commence le stage d’accès. Pendant trois semaines, il me parle de ce qu’il fait là-bas, des exercices, des textes à apprendre. Et moi j’enrage. J’enrage de ne pas avoir le courage de me jeter à l’aventure comme ça, de trop réfléchir. Je retourne sur le site et un nouveau stage d’accès est apparu, intensif, une semaine complète en immersion et ça commence dans trois jours. C’est le signe que j’attendais, le rattrapage que le cosmos m’offre.
Trois minutes et deux clics plus tard, je suis inscrit.