5 août 2020

Critique de Detroit : Become Human

Il y a quelques jours je jouais à la démo de Détroit : Become Human, un jeu vidéo anciennement exclu PS4, passé sur Windows il y a peu. Dans ce jeu de rôle, on y interprète dans un futur proche, le rôle de trois androïdes qui vont s’éveiller à la conscience tout au long de trois histoires distinctes mais qui parfois s’entremêlent pour nous faire vivre un récit global long d’une douzaine d’heure.


Dans cette démo, nous incarnons Connor, un androïde policier, aux capacités d’analyses évidemment surhumaines. Nous arrivons dans un appartement et comprenons rapidement que l’androïde vivant ici normalement en harmonie avec sa famille d’accueil, s’est tout à coup emparé d’une arme, et se trouve actuellement sur le bord du toit, avec une petite fille en otage. De là, notre mission est simple, sauver la gamine.

Avant de confronter l’androïde, il sera important d’explorer l’appartement pour trouver des indices et mieux comprendre ce qu’il s’est passé, et les motivations du criminel.

Toutes les actions menées depuis le moment où Connor rentre dans l’appartement jusqu’au dénouement final sont importantes. Sauver ou pas un poisson tombé de son aquarium, aider un policier blessé, prendre ou pas une arme sur le sol, accuser le criminel ou faire preuve d’empathie, tout est dument noté par le jeu et tout servira par la suite.

A la fin de cette démo, une arborescence est affichée, montrant au joueur les embranchements de l’histoire disponible.

Si cette démo d’une trentaine de minutes m’a mis une petite claque narrative, l’ensemble du jeu est un tsunami auquel je n’étais pas préparé. Quelques jours de réflexions plus tard, j’achetais le jeu, voici ce que j’en ai pensé.

Commençons par la façade. Le jeu est absolument magnifique. Ok, je viens de changer mon matériel informatique, et j’ai poussé tous les taquets à fond, mais quand même. La modélisation des environnements est phénoménale. Chaque scène est un écrin pour le personnage. Les ambiances sont à chaque fois différentes, nuit ou jour, neige ou soleil, intérieur sombre, ou extérieurs néons, à chaque fois qu’un nouveau chapitre commence, c’est une nouvelle claque visuelle.

De plus, tous ces décors montrent un worldbuilding de première classe. C’est bourré de détails. On peut s’arrêter devant chaque affiche, lire chaque article, écouter chaque conversation, tout nous plonge dans une année 2038, plaisantes par ses avancées technologiques et cauchemardesques par ce que cela implique.

Toujours graphiquement, mais cette fois au plus près, les personnages, et les visages, sont d’une finesse que je n’avais jamais vu jusqu’à maintenant. Chaque expression, chaque poil, chaque pore de la peau est représenté pour un réalisme époustouflant. Tous les personnages sont joués par de véritables acteurs et la technologie permettant des les afficher ensuite en jeu nous permet de nous impliquer émotionnellement. Évidemment les androïdes ont bénéficié du même soin, ce qui contribue à flouter les lignes entre ce que nous considérons comme vivant, ou pas.

Une fois ceci posé, passons à l’histoire, ou aux histoires. On suit ces trois androides, chacun à une échelle différente. Markus changera la face du monde. Ses décisions affecteront le destin de milliers de personne, en bien ou en mal. À ses côtés on traversera les affres de la solitude, et nous devrons diriger un mouvement de révolte gigantesque.

Avec Kara, nous aurons affaire à une aventure plus humaine. Son unique but est de sauver une petite fille en traversant le pays en guerre. Les sentiments sont plus proches de nous, plus immédiats. Les obstacles sont plus directs et l’émotion plus vive.

Enfin avec Connor, l’androïde policier chasseur de déviants, c’est une aventure plus personnelle qui s’offre à nous, un questionnement philosophique constant : qu’est-ce qui fait de nous des humains ?

Chacune de ces histoires est découpé en chapitre, de taille variable, jamais trop longs, et ils alternent, nous faisant passer d’un personnage à l’autre, se rencontrant parfois, se confrontant aussi. Il m’est arrivé à deux reprises d’échouer volontairement avec un personnage, pour en aider un autre.

Les arborescences de choix sont gigantesques et de plus en plus grandes au fur et à mesure qu’on avance, ajoutant des branches entières, et même des chapitres à jouer, dépendamment de nos choix précédents. C’est étourdissant et une vraie leçon de narration.

L’histoire que je me suis construite est véritablement la mienne. À aucun moment, je n’ai ressenti que je pouvais faire autrement, que selon ma personnalité, et ma nature, les choix que j’ai fait était ne pouvaient être que ceux-là. Il y a des statistiques en fin de chapitre qui donne le pourcentage de joueur ayant suivi le même chemin que vous. Par exemple, à la fin de l’un des chapitres du début du jeu, j’étais intimement persuadé que le résultat ne pouvait être que celui que j’ai obtenu, et pourtant j’ai vu que seuls 4% des joueurs avaient pris ce chemin !

Un mot aussi sur l’échec.

Il y a une phrase que j’aime beaucoup appliquer en jeu de rôle : « un échec, c’est simplement un autre chemin pour continuer l’histoire. ». Nous avons l’habitude en jeu de rôle, de, globalement, réussir nos actions. Les personnages sont forts, ils dépassent les obstacles et dans la plupart des jeux de rôle, échouer un jet de dés implique qu’il ne se passe rien. Dans YxY et Artefya, je conseille instamment de ne pas faire ça, de créer une histoire autour de cet échec et de rebondir narrativement dessus pour enclencher l’action suivante.

Detroit Become Human fait cela d’une manière parfaitement normale et intégrée. Par exemple, les scènes d’action sont difficiles. Les combats notamment sont rapides, les QTE et ne pardonnent pas et il est tout à fait possible et sans doute probable de rater un combat. Personnellement, j’ai perdu Connor à 5 reprises. Oui, malgré toutes mes précautions, Connor est mort 5 fois. Il revient, différemment lors de l’histoire, mais changé. Deux fois à cause de décisions qui ont débordé de ce que j’avais imaginé, deux fois lors de combat (dont un où j’ai hurlé de rage devant mon écran), et une fois volontairement. Et bien, le jeu le prend en compte et continue l’histoire. Elle se décale simplement. L’échec est valorisé, c’est simplement un autre chemin.

Bon, vous avez compris, je passe rapidement sur le reste, le côté méta, le joueur humain incarnant des androïdes devenant humains (ou pas 😉 ), se faisant poser des questions sur sa propre capacité d’empathie (notamment une scène hallucinante avec Connor qui doit exprimer ou non de l’empathie, et que je ne peux pas spoiler tellement elle est méta à plusieurs niveaux).

Je termine par quelques défauts.

Le premier est que le jeu entier fonctionne par bulle, par chapitre. Ce n’est pas un monde ouvert, et si le nombre de possibilité de choix est énorme, on est pas « libre » pour autant (toujours le côté méta). Les fois où on peut se balader dans la ville, la zone étant limitée à quelques rues, un immonde mur invisible rouge nous renvoie vers la zone « utile » si on cherche à aller trop loin. L’immersion étant plutôt bien gérée, le choc est d’autant plus rude de se rendre compte que nous sommes simplement dans un jeu vidéo. Et ça fait mal.

L’histoire est sacrément bien écrite, de très haut niveau pour moi. C’est pour ça que lorsque quelques clichés bas de gamme ont fait leur apparition, j’ai un peu levé les yeux au ciel. C’est très rare, mais c’est arrivé et idem que les murs invisibles, je me dis que c’est dommage.

Bref, à part ces deux points, j’ai passé quatorze d’heures à vivre une histoire poignante, dans un écrin magnifique et, si vous êtes client du genre, je vous invite vigoureusement à l’essayer.