Soirée mortelle

MéganeIl devait être près de 22h ce soir-là lorsque nous sommes arrivés en vue de la maison de Loïc. On était quatre dans la voiture. Y avait Mathilde ma best friend forever, John, le beau gosse dont toutes les filles étaient amoureuses, et qui se trouvait être mon frère, et puis Lucie aussi. Une peste qui se teignait les cheveux en rouge et qui se mettaient des boucles d’oreilles en formes de croix inversées pour faire sombre et mystérieux. N’empêche qu’elle savait conduire et qu’elle avait sa propre voiture. Et moi Mégane, la plus petite de la bande. Loïc nous avait dit : « Vous allez voir, on va s’éclater. J’ai la maison des parents pendant tout le week-end et Michel est allé faire les courses au supermarché. On va picoler grave. » Moi, j’avais jamais vraiment bu.

Jusqu’à hier soir.

On était sortis en boite avec les copines et pour pas passer pour une cruche, j’avais pris un truc. Rien de grave, c’était un kirsch, je crois. Ou un kir, je sais plus. Y’avait de la musique forte. On était venus là pour fêter la fin des cours, pour décompresser un peu quoi. Bref, j’ai pris un verre puis un deuxième qu’un mec m’avait offert. Hyper sympa, brun avec une mèche qui lui tombait sur les yeux et surtout, un sourire à tomber de sa chaise. Il m’a dit que j’étais jolie, qu’il n’avait jamais vu une fille comme moi. Je suis devenue toute rouge et j’ai rigolé bêtement. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Je me souviens plus de quoi on a parlé mais je sais juste qu’il a fini par m’embrasser dans les toilettes. C’était mon premier vrai baiser. Il était plus grand que moi et il savait y faire. À un moment il m’a dit qu’il allait me laisser un souvenir. Il m’a embrassée dans le cou. Ça m’a piqué un peu mais j’ai adoré ça. Il m’a fait un gros suçon puis il est parti en me laissant là comme une conne. Sans même me filer son numéro ni aucun moyen de le revoir. De toute façon je n’y pensais même pas. C’est sûr que je pensais pas trouver mon prince charmant dans une boite de nuit pourrie de la banlieue parisienne mais quand même. La soirée a continué mais je me suis senti vraiment fatiguée. Ce sont mes potes qui m’ont ramenée chez moi. Je racontais n’importe quoi. Enfin, au moins il s’est rien passé de grave. J’ai bien trouvé John qui dormait dans le canapé, il n’avait même pas eu le temps d’aller dans sa chambre cet imbécile.

J’ai dormi toute la journée je crois. Si ça se trouve y avait pas que de l’alcool dans le verre. Ma mère m’avait dit une fois qu’il fallait se méfier quand on vous offrait quelque chose, surtout si c’était un inconnu. Enfin là, le mec il m’avait embrassée, c’était plus vraiment un inconnu non ?
À un moment, John s’est levé et m’a dit qu’il fallait partir.

Tu te rappelles qu’on doit aller chez Loïc ?
– Mais c’est ce soir ! rétorquai-je d’une voix pâteuse.
– Heu ouais, mais ce soir c’est maintenant en fait. T’as dormi comme une masse, poulette. Allez, va te doucher et on y va vite. Hé, mais c’est quoi ça ? me demanda-t-il en pointant mon cou d’un doigt accusateur.
– C’est rien, laisse tomber.

J’ai pris un foulard qui trainait là et je l’ai mis autour de mon cou. J’allais quand même pas tout raconter à mon frère non ? C’est personnel ces choses-là. Par contre, aussitôt douchée je disais tout à Mathilde. Elle était trop contente pour moi. Elle m’a dit qu’elle connaissait le gars, un mec qu’elle avait déjà vu au lycée.

Après la douche, je me suis senti hyper bien. J’ai mis une petite robe noire et des boucles dorées. Un peu de maquillage sur les yeux pour me donner un air un peu plus vieille et du gloss. J’étais belle et je le savais. J’avais des vues sur Loïc depuis un moment mais je n’avais jamais osé lui parler. Avec ce qui s’était passé dans la boite, j’avais pris un peu confiance en moi. Ce soir, c’est sûr, je l’embrasserais !

Mon ventre se mit à gargouiller. Forcément après 24 heures sans manger. Mais rien ne me disait. De toute façon la robe était trop serrée pour que j’avale quoi que ce soit et le frigo était vide. On était vendredi et ma mère ne faisait les courses que le samedi.

Le klaxon de la voiture de Lucie sonna deux fois, c’était l’heure de partir. Un dernier coup d’œil dans le miroir (j’avais une mine affreuse mais ça allait quand même), un remontage de collant, une retouche de gloss et c’était parti.
On a mis un temps infini à trouver, c’était hyper mal indiqué et le GPS était complètement paumé. Y’avait comme une sorte de brume. Les autres n’y voyaient rien. Moi ça allait, avec la lune et les étoiles on y voyait quand même un peu. Loïc était sur la route avec une lampe-torche pour nous indiquer le chemin. La maison de Loïc était une sorte de manoir au milieu des bois avec un grand terrain et de la brume qui brillait dans la clarté de la lune. Super bizarre, on aurait dit des effets spéciaux. Il nous a guidés jusque sur le parking puis nous a emmenés dans la maison. J’ai frissonné en entrant, je ne sais pas pourquoi.

À l’intérieur on aurait dit un manoir de vieux films. Y avait un feu qui brulait dans une grande cheminée. Un gros feu même, c’était flippant, on aurait dit qu’il cherchait constamment à s’échapper. Au-dessus de la cheminée trônait une grosse tête d’ours. Loïc nous a dit que c’était son père qui l’avait tué à la chasse il y a quelques années. Et il y avait même la peau de l’ours sur le sol. Lucie faisait toujours la tête, elle disait qu’il ne fallait pas tuer les animaux, qu’ils n’avaient rien fait. Qu’ils n’étaient guidés que par l’instinct. Et que s’ils tuaient, c’était juste pour manger. Elle disait ça d’un air de reproche, comme si on y pouvait quelque chose. Moi ça m’a fait mal au cœur.
Mathilde est partie dans la cuisine avec John. Elle rigolait bêtement en regardant mon frère. De là où j’étais j’arrivais encore à les entendre glousser. Qu’ils étaient bêtes, tout le monde voyaient bien qu’ils voulaient s’embrasser.
Ce qui a permis à la fête de commencer c’est quand Michel est arrivé avec les bières et la tequila. Je mourrais littéralement de faim et de soif. Ma robe me serrait alors j’ai ouvert un des boutons sur le devant. Tant pis si trop mon décolleté baillait un peu trop. Michel s’est approché de moi et s’est penché pour m’embrasser. Il avait une drôle d’odeur. Un truc écœurant, comme s’il s’était enduit le visage avec de la mousse et des écorces d’arbres. C’était mélangé à de la sueur. Même son regard était bizarre. Mince, il voulait quoi à la fin ? Lorsqu’il m’a embrassé j’ai tourné la tête. Je ne voulais pas le vexer mais c’était plus fort que moi. Il avait une grosse veine qui battait sur son front. Berk.
Je me suis dépêchée d’aller voir Mathilde. Au moins personne ne l’embêtait elle.

– Je crois qu’il veut te chopper, me dit-elle soudain sans me regarder.
– Hein ? Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant ?
– Je sais pas. T’aurais peut-être pas du t’habiller comme ça. On voit tout là.
Comment ça ? J’étais habillée parfaitement normalement, un peu jolie mais sans plus. C’était pas option découverte non plus !
– Heu d’abord je m’habille comme je veux ! rétorquai-je.

J’avais du parler un peu trop fort parce que tout le monde s’est retourné vers moi. Rouge de honte, je suis partie bouder dans un coin en remettant en place ce satané bouton. La fatigue aidant je me suis assoupie.
Lorsque j’ai ouvert les yeux la soirée avait bien commencé. Tout le monde dansait. J’aimais bien cette chanson de Ace of Base qui passait souvent à la radio. J’avais les oreilles qui bourdonnaient, un mal de ventre terrible et tout me paraissait ralentit. Comme si je bougeais dans du coton.
D’un coup j’ai vu Loïc qui montait à l’étage en titubant, une bouteille à la main. D’un geste du menton il m’invita à le rejoindre. Il était beau. Grand et fin comme un personnage de manga. Il avait une chemise blanche qu’il avait laissée ouverte sur son torse imberbe. J’aurais voulu y plonger mes ongles. L’attraper et le serrer contre moi.
Alors que le reste de la bande était resté en bas, je prenais l’escalier. J’entendais encore les cris et les rires de Mathilde, John et Michel. Même Lucie avait laissé tomber le masque et avait l’air de s’amuser. Ils avaient des postures étranges, presque grotesques.

Loïc sentait bon. D’un geste il me prit par la taille, m’attira contre lui et m’embrassa. J’étais un peu déçue, il n’était pas aussi bon que l’inconnu de la boite. Alors j’ai pris les choses en main. Je l’ai bousculé sur le lit de ses parents. Il s’est débattu un peu alors que je lui maintenais les bras et que je descendais lentement ma bouche sur sa poitrine. Je suis allée jusqu’à sa ceinture que j’ai enlevé d’un coup de dents. Comme si j’avais fait ça toute ma vie ! Je n’avais même pas honte, je me suis juste demandé comment j’avais fait aussi vite. Loïc ne bougeait plus, je crois qu’il en attendait plus. J’entendais encore les bruits en bas, c’était toujours la même chanson qui passait. J’avais l’impression d’entendre toujours la même chose, les mêmes rires, les mêmes blagues qui se répétaient.

Loïc s’était renversé du vin dessus. Sa chemise était maculée de rouge mais il ne disait rien. Il devait avoir trop bu. J’ai léché le vin, tout le vin. C’était épais et sombre. J’ai rigolé. Loïc ne bougeait toujours pas. Ses bras, que j’avais maintenu en l’air, faisaient un angle bizarre avec sa tête. Quand j’ai fini, Loïc s’était endormi.
Un peu vexée que ma première expérience n’aille pas plus loin, je suis redescendue. Il n’y avait pas de musique, pourtant je l’entendais encore. Mes amis étaient allongés sur le sol, pourtant je les voyais encore danser. Les flashs se succédaient dans ma tête, comme si je voyais plusieurs films en même temps, comme si toutes les scènes se mélangeaient, se jouaient l’une sur l’autre. Je ne savais plus où j’étais. L’image du garçon de la boite m’apparut, ses mots susurrés alors qu’il m’embrassait :

« Cela fait longtemps que je te cherche. Tu es différente des autres. J’ai besoin de toi pour m’aider mais il faut que tu te révèles toute seule. Que tu montres ta force. Là où je t’emmène tu seras seule. Je vais te laisser un souvenir. »
Autour de moi tout le monde était mort. Mathilde et John étaient pendus dans la cuisine. Michel avait été égorgé et Lucie était clouée à la cheminée, un tisonnier lui transperçant la poitrine. Au premier étage Loïc était disloqué, ses épaules et son cou brisés. J’étais couverte de sang des pieds à la tête. Je voyais encore mes amis tenter de s’enfuir alors je brisais leur corps au son de « All that she wants ».

On frappa deux coups à la porte. Dégoulinante, marchant comme un zombie, j’ai tourné la poignée. Mais il n’y avait que le vent. Personne d’autre que mon imagination. Personne pour m’aider. Juste une voix qui résonnait dans ma tête, la voix de mon maître.

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