Les mémoires d’un estudiant botanica Vol.1 – #2

4 – Un travail de tout repos

MaisonLa chaleur nous enveloppa instantanément alors que se referma derrière nous la lourde porte de bois. La pièce principale était éclairée de multiples lampes fixées au mur. Un grand escalier de bois montait d’un coin de la pièce vers les étages et finissait sur un palier barré d’une longue rambarde. Des sièges avaient été disposés derrière cette rampe pour permettre aux clients des étages d’apprécier les spectacles prenant place sur une petite scène près de l’immense âtre. Un énorme cochon rôtissait doucement à la chaleur d’un feu crépitant, projetant de petites flammèches chaque fois qu’une goutte de graisse tombait en grésillant. Une odeur suave s’en dégageait, provoquant de douloureuse contractions dans nos ventres affamés.

Quelques minutes plus tard, la serveuse apparut. Elle était grande. De ses vêtements sans doute trop serrés jaillissait une anatomie avantageuse, comme si ses formes plantureuses ne demandaient qu’à s’exprimer. Elle portait un tablier blanc sur une robe jaune poussin. Ses nattes brunes volaient derrière elle alors qu’elle virevoltait entre les tables pleines de clients. Une maitresse femme, assurément pensais-je avant d’être sévèrement rabroué par le père Akney qui trouvait que je m’attardais un peu trop.

Elle nous trouva rapidement de la place et nous apporta de quoi boire, une bière à la mousse épaisse et grasse et un plat de ragout de porc ainsi qu’une grosse miche de pain frais. Malgré la simplicité de la nourriture, nous mangeâmes de bon cœur. C’est enfin rassasiés que nous prîmes le temps de lever le nez de nos assiettes. Sur le mur le plus proche de la porte d’entrée était appuyé un grand tableau de bois sur lequel étaient clouées des annonces. L’une d’elle attira mon attention. Un homme cherchait à recruter des enquêteurs pour se renseigner sur un fait mystérieux : des soldats tombaient malades et restaient ainsi quel que soit les traitements qu’on pouvait leur administrer. Pensant mettre mes compétences dans les plantes médicinales à profit, en les exagérant un peu au besoin, j’arrachai le papier avant de me mettre en quête du donneur d’ordre qui devait normalement, c’était inscrit sur l’annonce, se trouver dans les parages.

Ma recherche fut de courte durée : une silhouette encapuchonnée venait de lever le bras.

Des quelques histoires d’aventures que j’avais lues adolescent, allongé au côté de mon précepteur, j’avais retenu plusieurs faits intéressants.

1 – Une mission n’est jamais aussi simple que son énoncé le laisse entendre.
2 – Méfie-toi toujours de ton employeur, surtout (et c’était là une merveilleuse constante) s’il a l’air mystérieux.

Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi tous les employeurs cherchaient à se faire discrets, revêtaient systématiquement une vieille cape à capuche, ou se cachaient dans l’ombre. Il me semble que si j’étais à leur place je chercherais plutôt à mettre mes interlocuteurs en confiance, d’une manière à pouvoir négocier au mieux par la suite, peut-être autour d’un verre de vin ou d’une pipe d’herbe à chanter, que sais-je.

L’entrevue se passa comme je l’avais imaginé.

L’homme disait s’appeler Vern Hendrick. Il travaillait pour le compte du seigneur Richard Aschaffenberg dont la demeure était située à quelques heures de carrioles de là, sur une colline, plutôt une sorte de pic, battue par les vents. Ce nom me rappela un des cours d’histoire politique que mon précepteur aimait particulièrement. La famille Aschaffenberg était connue, puissante, et respectée dans tout le Reikland. Le seigneur venait de recevoir le château Grunewald en dotation, suite à son mariage avec la fille Von Brunner, une autre famille noble régnant sur un territoire immense comprenant une partie du Reikwald, l’immense forêt couvrant la région, et le Reik, le fleuve traversant cette zone.

Son problème était simple. La plupart des gens du château tombait malade mystérieusement. Certains portaient des blessures, de simples estafilades reçues pendant une chasse ou une garde un peu mouvementée, ou simplement en entrainant les chiens. Ces blessures ne guérissaient pas. Elles restaient ouvertes et suppuraient continuellement, provoquant douleurs et fièvres. Selon lui, quelque chose ou quelqu’un se cachait derrière cela et malheureusement, il ne disposait plus d’aucun personnel valide pour l’aider dans sa tâche.

Camillia négocia rapidement le tarif, plutôt élevé finalement eu égard à notre faible expérience et nous acceptâmes avec joie notre premier service commandé.

Dans la soirée, aidés du cocher de notre nouvel ami, nous mîmes en ordre nos affaires sur la carriole et partîmes en direction du château.

5 – Un voyage mouvementé

Le voyage fut épuisant, encore plus que si nous avions marché tout le long du chemin. La route était défoncée, parsemée de nids de poules, de caillasses et de bosses traitres. La carriole tenait bon malgré les grincements inquiétants des roues et les craquements de l’armature. Les deux chevaux tiraient facilement l’équipage qui ne portait ni bagages ni armures lourdes. A plusieurs reprises il nous fallut nous arrêter pour vérifier l’état du véhicule et faire le point sur notre position mais notre hôte savait où il allait.

LunesMannslieb, la lune jaune, éclairait notre chemin tandis Morslieb, la lune du Chaos, baignait les alentours d’une lumière glauque, effrayante.  Le château était installé sur une hauteur à l’orée d’un bois. Alors que nous approchions de la fin de notre périple, et que nous traversions les derniers mètres de forêt nous séparant de l’entrée du château, un hululement sinistre se fit entendre.

La carriole s’immobilisa devant les hautes murailles. Je commençais à comprendre que l’architecture de la région semblait privilégier les ouvrages défensifs et la pierre épaisse. Le faîte du château se découpait dans la nuit étoilée et nuageuse. Tout aussi romantique que puisse être cette vue, elle fut brutalement interrompue par une série de grognements bestiaux.

A ce moment j’étais juché sur le toit de la carriole, en train de défaire les maigres bagages de notre hôte. Frissonnant, je levais la tête et cherchais du regard l’animal capable de proférer de tels sons. Je ne fus que modérément surpris d’apercevoir une demi-douzaine de monstres, à l’allure et au faciès identique à ceux rencontrés dans notre village. Jamais je n’avais cru possible de voir une telle bestialité. Ces hideuses créatures était telles des chimères, des mélanges impossibles de bêtes et d’hommes. Certains se tenaient sur leurs jambes atrocement arquées et arboraient des têtes de boucs contrefaites, des museaux allongés de loups ou de chiens, d’autres possédaient des membres bien trop longs pour leurs corps, laissant trainer leurs mains sur le sol ou se frappaient la poitrine comme les animaux exotiques poilus rencontrés parfois sur la place des marchés lointains de Nuln. Mais cette fois aucun barreau de métal, aucune cage de bois épais ne les séparaient de nous. Poussant des cris gutturaux, des vibrations graves provenant de gorges inhumaines, ils attaquèrent.

Pris de rage, je criais à mon tour. Pour une fois, je n’étais pas effrayé. Une nouvelle détermination montait en moi. La haine s’emparait de mon esprit. Je voulais leur faire du mal, je voulais les tuer, faire entrer mon épée dans leurs entrailles, fouiller leurs chairs et me recouvrir de leur sang poisseux. Jamais je n’avais ressenti cela auparavant. Je n’ai jamais eu pour habitude de faire usage de violence, et surtout d’en tirer du plaisir. Il faut croire que j’avais changé.

Mon maitre se saisit de sa hache et d’un geste puissant l’abattit sur le crâne du premier monstre qui éclata comme un fruit trop mûr. Il se retourna et en frappa un autre, lui entaillant profondément la poitrine. Camillia dégaina à son tour pour recevoir la charge d’un troisième et l’empala jusqu’à la garde, coinçant son arme dans les tripes chaudes de son adversaire. Une odeur abominable s’échappa de son abdomen ouvert. Le sang jaillit en cascade, projetant de copieuses giclées aux alentours. Dans la confusion je vis le visage de mon maitre couvert du liquide carmin, la bouche déformée par les cris et les prières qu’il adressait aux dieux. Pris de frénésie à mon tour, je frappais du haut de mon abri les crânes des hommes-bêtes qui tentaient de venir me déloger. Mon épée perça l’œil de l’un d’entre eux, rentra complètement dans son crâne et ressorti à l’arrière avec un bruit de succion écœurant. Je venais de tuer pour la première fois. Je fus pris de vertige mais me forçait à rester debout. Mes oreilles bourdonnaient, mon cœur battait à tout rompre, mes yeux étaient collants, couverts de morceaux de cervelles échappés du crâne ouvert de mon adversaire. Je me nettoyais le visage avec mes manches, aussi sales que le reste de mes vêtements et m’aperçus que le combat se terminait. Les grilles du château venaient de s’ouvrir et les soldats nous faisaient signe d’entrer en agitant vigoureusement les bras vers nous. Il me semble, mais je ne suis plus très sûr de moi, qu’aucun d’entre eux ne soit venu nous aider et que les grilles n’aient commencé à se lever qu’après que la dernière des créatures se fut tue à tout jamais.

Nous entrâmes en hâte alors que d’autres cris se firent entendre en provenance de la forêt.

6 – Un accueil chaleureux

Nous fûmes immédiatement accueillis par le maitre de ces lieux, le seigneur Aschaffenberg, un homme massif, dans la force de l’âge, aux mains énormes et aux bras musclés. Il portait une barbe noire sur un visage expressif. Ses yeux bleus brillaient d’intelligence. D’un premier abord il paraissait bourruChateau mais je compris rapidement qu’il ne s’agissait que d’une façade. Avant d’être le dernier enfant d’une lignée millénaire, le seigneur était un véritable guerrier. Il avait servi en tant qu’officier dans les armées de l’empereur à Altdorf et avait combattu le Chaos sur le front Norsc alors que je n’étais encore qu’un enfant.

Il nous serra la main d’une poigne virile et nous présenta à l’ensemble des autres habitants. Nous commençâmes avec Grégor Piersson, le majordome. C’était un homme charismatique, de haute taille et fin comme une brindille. Son regard pénétrant me renvoyait d’étranges pensées et était difficile à soutenir. Il y avait aussi le docteur Stéfan Sieger, qui avec sa barbe poivre et sel, ses lorgnons ronds et son léger embonpoint affichait perpétuellement un air de bonhommie le rendant fort sympathique. Nous fîmes ensuite la connaissance de Korden Kurgannsson, le forgeron nain. Evidemment. C’était la première fois que je voyais un membre de cette race mais mon grand-père m’en avait déjà longuement parlé. Il parait que pour un humain, tous les nains se ressemblent. De petite taille il compensait par une musculature hors norme et un regard mauvais. Le capitaine Anders Blucher était le chef des gardes et à ce titre portait constamment sa cotte de maille défraichie et une épée longue dans un fourreau de cuir dont une lanière menaçait de rompre à tout instant. Il affichait un air préoccupé et je sentais dans son attitude que son travail était chargé et qu’il s’en faisait pour ses hommes blessés. Enfin Olver Gand s’occupait du chenil et des cinq chiens de chasse, de massifs molosses à la peau noire et aux dents aiguisées. Ses mains étaient entourées de bandages sales et il manquait une bonne moitié de son oreille gauche.

Nous n’avions que très peu d’affaires à dépaqueter, ce qui nous permit de nous installer rapidement dans les chambres qui furent mises à notre disposition. Camillia avait sa propre pièce tandis que le père Akney et moi-même partagions la nôtre. Les lits étaient frais et confortables et le ménage avait été fait récemment. Une des fenêtres avait un carreau fendu et laissait de temps en temps le vent passer au travers ce qui provoquait une sorte de sifflement plaintif un peu désagréable. Malgré cela, je considérais que nous aurions pu être plus mal logés.

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