Cours Florent – Stage d’accès part1

La veille du premier jour, je dors pas. Qu’est ce qu’il va se passer ? Dans quoi je me suis engagé ? Je viens vraiment de lâcher 400 boules pour une semaine de théâtre ? J’ai posé une semaine de congé juste pour ça, ça va être rude.

Mardi matin j’arrive devant le cours, une pauvre façade dans le 19ème, des tas de gamins fument des clopes en rigolant. Ils ressemblent aux abrutis de la pub l’Oreal, les cheveux en l’air, les sapes savamment choisies, faussement rebelles, que des faces de babtous bon teint. On est loin de la diversité.

Le gars de la sécu me regarde bizarre, il a dû croire que j’étais un prof je sais pas, mais je finis par rentrer dans le bâtiment. A l’intérieur c’est un peu délabré, du genre : « on a pas eu le temps de faire les finitions mais c’est pas grave ahah ». Non pas ahah. Un coup d’œil au tableau et je repère ma salle, et ma prof. On est 25 dans la grande salle, à se regarder en chien de faïence, a pas comprendre ce qu’on fout là. Ma première impression se fait la malle très rapidement. Y’a des jeunes, des vieux, des minces, des gros, des chauves, des rebeus et un black tout tatoué.

La prof est petite, menue, mignonne, plus jeune que moi. En trois phrases elle s’impose, mélange de charisme et d’autorité, c’est bien, ça me plaît et ça me met en confiance. Clairement pas la perdrix de l’année, elle envoie. Grave.

« Et toi ? Pourquoi t’es là ? »

C’est mon tour de me présenter, j’en mène pas large. La plupart de mes prédécesseurs veulent être acteurs, ou comiques, ils ont des étoiles dans les yeux, moi pas encore. Je raconte ma vie rapidement, quasi trente ans de jeu de rôle (je fais comme si tout le monde savait ce que c’était, personne pose de question), de l’écriture, des bouquins, de l’impro. Moi je veux faire metteur en scène. J’aime bien diriger les gens, créer des scènes, organiser des trucs. Ouais, j’aime bien l’idée. Pas hyper original. Je me projette toujours pas, mais là, devant tous ces gens, j’ose enfin me dépasser et dire un truc qui me plairait. Peut-être. De loin. Faut pas trop rêver quand même.

Puis y’a René. Plus de 70 piges, une patte folle, le regard doux, la gueule du mec qu’a vécu des trucs, qu’est mort dix fois mais qui est toujours là pour en parler. Qu’est-ce que tu fous là René ? Et là le mec c’est un peu ta grand-mère qui te raconte tranquillement la guerre. Le gars envoie du lourd, il a connu des tas de gens, Brel putain, a chanté, a bossé partout, a fini SDF, alcolo, est remonté, a recommencé, et là il vient tenter son rêve. Son dernier rêve. Les plus jeunes sont calmés d’office, c’est beau.

Sans tarder on commence le premier exercice. Marcher dans l’espace. C’est simple en fait, tout le monde marche sur la scène, chaque espace doit être rempli, à chacun de s’organiser pour le faire, sentir quand aller dans un endroit vide, quand ne pas le faire, et surtout sans regarder par terre, vision périphérique seulement. Une simulation de marche dans le métro, les parisiens sont pas dépaysés.

« Maintenant, quand vous le sentez, vous vous arrêtez deux à deux, vous vous regardez dans les yeux cinq secondes, et vous repartez ».

Cinq secondes c’est long. Tu en vois des choses en cinq secondes dans les yeux d’un inconnu. Pour la première fois depuis longtemps j’ai été secoué. Par la puissance d’un regard qui ne fuit pas, par toutes les émotions que tu peux ressentir et transmettre, par cette énergie qui se dégage de chacun, chaque fois différente, un goût et une odeur. Incroyable. C’est précisément à ce moment-là que j’ai été happé.

Il y a eu pas mal d’exercice pendant cette semaine, des jeux aussi. En voici deux exemples.

Dans le jeu du tueur, tout le monde ferme les yeux puis la prof choisit entre un et trois tueurs (pour une classe de 25) et leur touche la main discrètement pour leur signifier leur nouveau statut. Ensuite on ouvre les yeux, puis on marche dans l’espace comme d’habitude. On se regarde dans les yeux, parfois on regarde ailleurs mais surtout on reste concentré. Lorsqu’un tueur le souhaite, il fait un clin d’œil à quelqu’un qui le regarde. L’idée c’est d’envoyer le signal de manière franche pour la cible s’en rende compte mais pas les autres autours. Moins simple qu’il n’y parait. La cible doit alors attendre quelques secondes puis jouer sa mort de la manière la plus spectaculaire possible, avec force râles, chancellement et autres cris ou dernières paroles. Si quelqu’un a vu ou pense avoir vu quelque chose il peut dénoncer le tueur. Dans ce cas, si cette grosse balance avait raison, le tueur meurt de la même manière, et si elle a balancé une connerie, c’est elle qui meurt.

C’est simple, rapide et super fun. Ça permet de s’entrainer à observer, à se concentrer et à envoyer des signaux rapides et francs.

On a aussi joué au I-A-O. Tout le monde en cercle, une personne démarre en regardant quelqu’un de son choix puis doit crier I en faisant une sorte de mouvement d’épée de bas en haut avec les bras. Comme si on envoyait un ballon quoi. Idem, il faut que ça soit énergique et parfaitement dirigé. La personne qui reçoit, doit lever les bras puis crier A, enfin les personnes à sa gauche et à sa droite doivent effectuer un mouvement des bras comme s’ils tranchaient le receveur tout en criant O. Puis on recommence, celui qui a reçu envoie la balle/l’énergie/la réplique à quelqu’un d’autre. L’idée est d’accélérer et de créer une musique ou un rythme I-A-O le plus longtemps possible. Celui qui se plante, dans ce qu’il crie, dans son mouvement, s’il y a une confusion quelconque, la personne est éliminée, puis le jeu reprend avec de moins en moins de monde. Evidemment à trois ça devient très rapide et très difficile. Ce jeu apprend aussi la vitesse, la précision, et la concentration. La moindre seconde d’inattention et on est éliminé. Le jeu étant rapide c’est pas bien grave.

Je dois avouer avoir été plutôt bon dans ces exercices.

On a aussi fait un peu d’impro. On part de phrases que la prof nous glisse dans l’oreille, de positions de corps un peu aléatoires, de marches absurdes, puis on démarre de là. La plupart de ces impros étaient un peu foirée, notamment dans le manque d’écoute. Il y a plein de propositions mais souvent elles ne sont pas écoutées par les autres participants. Comme s’ils n’étaient pas dedans, comme si ce n’était pas sérieux. Ça manquait un peu d’immersion en fait. Bon c’est là que je m’en suis le mieux sorti. Toutes ces années à rebondir sur les idées toutes plus farfelues des joueurs les plus aguerris m’ont beaucoup aidé.

Je me retrouve avec Noah, un excellent partenaire, rapide, percutant et aux références similaires. En un coup d’œil et trois mots, on sait ce qu’on doit faire, où on va et pourquoi. La connexion se crée tout de suite, le reste se déroule comme dans un film. On part sur un braquage et on enchaîne les scènes sans temps morts, préparation, récupération des armes, voyage en bagnole jusqu’à la banque avec scène de discussion pour expliquer pourquoi on fait ça, braquage, ça gueule, on choppe le public, on le transforme en otage, on tourne, on court, c’est un tourbillon. Puis l’arrivée des flics, le sacrifice d’un braqueur pour aider son pote à sauver sa fille malade, puis l’autre braqueur revient et se fait abattre à son tour. Histoire tragique, tendue, et une famille brisée.

Putain c’était beau !

J’ouvre les yeux, je sors de mon immersion, je vois les regards des gens, les sourires, les compliments, et là je me dis : « c’est vraiment mon truc. »

3 Responses to “Cours Florent – Stage d’accès part1”

  1. Jawad dit :

    Super flashback sur cette semaine remplie en émotion!
    J’ai encore en tête cette impro hollywoodienne de ta part, on s’y croyait, et pourtant c’était que de L’IMPROVISATION!

    T’as du talent mec!

  2. Méjane dit :

    Un bien joli projet…

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