Plaidoyer pour une critique

Je mets ici pour la postérité un article que j’avais écris il y a quelques années, à l’époque où je faisais des critiques de jeu de rôles pour Radio-rôliste. Je le trouve encore d’actualité.


Il y a quelques jours, une discussion animée naissait entre les gars du podcast la Cellule et les auteurs du jeu Kuro à propos d’une critique particulièrement violente décrivant le jeu comme particulièrement mauvais et s’épanchant longuement sur le sujet.

Lors de cette discussion, un autre auteur faisait part de son agacement quant a une critique de son propre jeu, Dés de sang, remettant en cause l’impartialité et la manière de faire de la personne ayant fait cette critique, en l’occurrence, moi-même.

Comme cette remarque me travaillait quelque peu, j’ai eu envie de coucher par écrit la manière que j’avais de critiquer les jeux. Non pas que je cherche à me défendre particulièrement mais surtout parce que je me demande à quel point on est pas en train de se battre pour pas grand-chose.

Présentation

Tout d’abord un peu de présentation. Je m’appelle Yannick Polchetti et j’ai pour pseudo Orlanth depuis pas mal d’années maintenant. Je suis ce qu’on appelle un vieux rôliste, plus de 25 ans de pratiques diverses, avec quelques longues campagnes à mon actif, des dizaines de jdr testés et joués et bien plus de bouquins que je pourrais jamais en lire. En cela, je suis comme une bonne partie de la population rôliste, un collectionneur presque compulsif. Au-delà de mon activité purement joueur, je m’essaie aussi à l’écriture de jeux, parfois avec succès. Je ne prétends absolument pas avoir l’expérience de nombre d’auteurs du milieu mais quelques productions de ma part ont eu un petit succès qui me fait dire que je ne fais pas complètement de la merde.

Au titre de tout ce qui a précédé, je pense humblement avoir une légitimité en ce qui concerne la critique de jeu. J’aime les mécaniques élégantes et je bouffe régulièrement du système de jeu, ne serait-ce que pour en piquer les idées ou pour découvrir de nouvelles façons de jouer.

Méthode

Assez de présentation, parlons maintenant de critique et de méthodes. Pour moi, critiquer un jeu, ce n’est pas simplement donner son avis. Evidemment aucune critique ne peut exclure le point de vue de celui qui critique mais j’essaye au maximum de minimiser cet effet et de me placer du côté du néophyte (au sens de celui qui va découvrir ce jeu en particulier) et de décortiquer le jeu point par point.

A moins qu’il ne s’agisse d’un jeu distribué exclusivement numériquement, je commence toujours par parler de l’objet en lui-même. C’est le premier contact, la vue et le toucher sont importants et détermine grandement le plaisir qu’on pourra retirer à le manipuler et à le lire.

Ensuite je parle système de jeu. Un survol rapide me permet d’expliquer succinctement à quoi ressemble la mécanique, si on fait des jets de dés et comment et j’essaye de déterminer les points forts et les points faibles ressentis à la lecture.

Une précision d’ailleurs, personne n’a le temps de jouer à tout. Une discussion que nous avions eue d’ailleurs est : pouvons-nous critiquer un jeu sans y avoir joué ? La blague suivante étant, pouvons-nous critiquer un jeu sans l’avoir lu ? Si évidemment, je réponds non à la dernière question, c’est sans hésiter que j’affirme pouvoir critiquer un jeu sans y avoir jouer. J’estime que l’expérience dont la plupart d’entre nous dispose est suffisante pour se faire une idée rapide et pouvoir s’enthousiasmer ou pas sur une belle mécanique. Toutefois, l’avis initial émis à la lecture peut tout à fait se voir confirmer ou infirmer par une partie. Ce dont j’ai peur, c’est qu’une bonne partie des sensations éprouvées lors d’une partie de jeu de rôle provenant de la mise en scène et du scénario joué, donc très directement du maître de jeu, la qualité de ce dernier ne biaise l’avis final.

Une fois le système de jeu passé en revue, j’aborde le monde de la même manière, points forts et points faibles, en essayant encore une fois de rester objectif. Est-ce que telle région du monde me paraît suffisamment détaillée, ou attrayante, pour avoir envie de m’y plonger, est-ce que tel personnage non joueur me semble évocateur, est-ce que l’ensemble apporte quelque chose, est-ce que je sens le souffle épique ou au contraire la moiteur d’une ambiance lourde.

Ici, on est vraiment dans le pur ressenti et c’est à mon avis, la plus grande difficulté de l’exercice. Il faut arriver à expliquer ce qu’est l’univers et ce que l’on a ressenti en le parcourant tout en faisant fi de ses propres univers de prédilection. Pas simple.

Enfin, je parle des scénarios, car il en faut et j’ai un avis assez arrêté sur le sujet, et les conseils de maîtrise, un exercice périlleux mais intéressant car c’est le moment où l’auteur peut prendre du recul et expliquer son intention et la manière dont il souhaite que son jeu soit joué.

État des lieux

Le milieu du jeu de rôle est très petit. Je dis souvent que c’est une cour d’école avec cent personnes qui se connaissent. Il y a des petits groupes, des rivalités, des amitiés bien sûr mais comme dans tout milieu aussi petit, tout est amplifié. De plus, certains acteurs moins au fait des longues histoires foutent parfois un peu les pieds dans le plat. Qu’il s’agisse d’auteurs amateurs (pas au sens réducteur du terme, au sens de pas encore publié), de critiques qui se lâchent parfois, ou des auteurs qui prennent personnellement très mal la moindre remarque fut-elle prononcée du bout des lèvres.

Avec mes quelques compagnons, nous avons pris le contrepied de cet état d’esprit. Les choses sont dites, parfois brutalement, mais nous savons qu’à aucun moment il ne s’agit de casser l’autre ou son travail et qu’on gagne énormément de temps à se parler directement.

Oui, il y a déjà un filtre, nous nous connaissons et nous avons décidé tacitement que ce mode de fonctionnement est le meilleur pour nous.

Oui, lorsqu’un critique s’étale longuement sur un jeu, il ne connaît pas forcément l’auteur et n’a donc pas mis en place ce filtre. Il est donc parfaitement compréhensible que ce dernier réagisse mal. D’autant plus qu’il y a toujours un certain nombre de contraintes très difficiles à voir et à comprendre qui peuvent saloper un jeu au-delà de la vision de l’auteur.

  • Des contraintes de signes, qui obligent à couper drastiquement ou au contraire à tirer à a ligne et donc diluer le texte intéressant.
  • Des contraintes de temps, obligeant les auteurs à sortir des textes parfois peu relus.
  • Des contraintes financières. Pour rappel, il n’y a pas d’argent dans le jeu de rôle. Ceux qui imaginent le contraire n’ont qu’une connaissance très idéalisée de ce milieu. De rares éditeurs et auteurs arrivent à en vivre, mais la plupart ont un vrai métier à côté et bossent pour la gloire et la passion. Sans faire d’angélisme non plus, croire qu’on va devenir riche en faisant du jeu de rôle est un phantasme commun qu’il est urgent de détruire.

Ajoutons à cela des contraintes extérieures, comme les illustrations (branleurs de dessineux), la maquette (faite à l’arrache par le gars qui a touché une fois inDesign) , l’imprimeur (toujours en retard) et la distribution et on peut commencer à comprendre les difficultés pour un jeu de sortir exactement comme l’a voulu l’auteur et l’éditeur.

Conclusion

Tout ce long post pour finir par donner mon avis. On va sans doute me taxer de dire des choses évidentes ou d’être un gros connard qui ne prend pas partie, mais je m’en fous. Ce qui est évident pour l’un ne l’est pas pour l’autre et cela ne coûte rien de les redire.

La critique est effectivement facile à faire. N’importe qui ayant lu un jeu de rôle peut finalement donner son avis et cartonner gratuitement (ou encenser). Ce qui va faire la différence, et ce vers quoi je travaille, c’est la mesure et l’argumentation.

Un jeu peut être mauvais, indéniablement, et j’en parlerais bientôt lors d’une future chronique, mais il est important d’expliquer en quoi le critique considère le jeu mauvais. En effet, ce qu’il trouve mauvais peut ne pas l’être pour un autre joueur, ou ne pas sembler aussi important à ses yeux.

A l’inverse, produire quelque chose c’est toujours s’exposer. Il faut le comprendre et l’accepter, il n’y a pas vraiment d’alternative.

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