5 juillet 2016

Attends je re. part1

Enter-the-VoidLa pression était constante, bourdonnante, flippante et surtout permanente. Ma vie consistait à courir après le temps, après les gens, à vouloir me remplir la tête de projets, combler le moindre interstice par de l’information, par des idées, par du divertissement. Je n’avais plus le temps de penser, aucun moment pour m’évader. J’avais perdu la sensation de l’attente. Tout sauf l’ennui. Tout sauf un cerveau qui fonctionne à vide.

Il me semble que je n’ai pas toujours été comme ça. Du moins pas tout le temps, ou peut-être pas avec autant d’intensité. Jeune, j’étais curieux, inventif, toujours plongé dans mes bouquins, un geek de série télé, avec mes lunettes trop petites et ma timidité maladive. Jeu de rôle, informatique, lectures de sous-genres comme ils disent, les cultures de l’imaginaire, j’avais la panoplie complète.

Jusqu’à la fin de mes études, j’étais sérieux mais pas toujours motivé, je pouvais encore glander sans culpabilité, tout était facile, évident. Je me laissais porter. Je m’ennuyais surtout. Ce qu’on me disait je le comprenais, et parfois je ne le comprenais pas mais ça n’avait pas d’importance parce que je pouvais retrouver l’information. Ou l’inventer. Je planais. Sans soucis. Puis le choc, la chute, un coup de pied au cul. Des notes trop moyennes pour continuer mes études, obligations de trouver un boulot. Premier entretien, premier job. Trop facile. L’arrogance du jeune con. C’est un échec, je suis viré au bout de quelques semaines. Le constat est amer, ce que je sais ne me sers à rien, et je n’en sais pas assez pour bosser correctement. Alors je redescends sur terre et je me mets à apprendre, à apprendre vraiment. Je me plonge dans les livres, je découvre un internet encore balbutiant, que j’explore tous les jours, toutes les nuits. Je n’ai plus le temps de faire autre chose, je dois apprendre, encore apprendre. Progresser. Produire. Bien sûr le reste ne disparait pas, je continue le jeu de rôle, cette activité m’apporte tellement. Elle me sort de ma coquille, fait bouillonner mon cerveau, m’apprend à lire, à écrire, à me cultiver pour comprendre les références même imaginaires, une infinité d’univers à découvrir, à analyser.

J’avance, je m‘intéresse à des trucs d’adultes aussi. Je bosse sur une chaine de télé, je regarde et je lis les informations générales, je me construis une conscience politique, je suis alerte, vivant. Je me rajoute des projets persos, je programme, j’écris, y’a toujours quelque chose à faire.

Je rentre dans des associations, je fais du social, avec des amis j’organise des salons, du jeu encore. Je rencontre des gens sur la même longueur d’onde que moi. Quel plaisir, enfin. Ça percute, ça va vite, pas le temps de vulgariser pour des gens qui ne comprennent pas ce que je fais, ça fuse. L’arrogance toujours. Et le temps passe, femme, enfants, et rien n’est jamais terminé, il y a toujours des choses à faire, à apprendre. Et plus j’en sais, plus je me rends compte de ce qu’il me reste à savoir. Ça ne s’arrête jamais. Je suis une machine à apprendre, ma tête un entonnoir qui déborde. J’ai le monde entier à faire passer par le chas d’une aiguille. Je n’y arriverai pas mais je dois essayer. Je dors de moins en moins, je me lève la nuit pour lire des trucs. Ma vie familiale se dégrade.

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« Je te quitte » qu’elle me dit.

« Ok », que je lui réponds.

Je me retourne vers mon ordinateur pour finir l’article que Facebook me propose de lire parmi un flux invraisemblable et illimité en mouvement constant.

Et pendant que la lumière de l’écran continue à me cramer les yeux et l’esprit, dans ma tête un engrenage grince. Qu’est-ce que tu fous, là ? Qu’est-ce que t’es en train de foutre mec ? Bientôt quarante ans et t’as pas compris que tu t’étais transformé en Sisyphe ? Que ça servait à rien ? Que ce que tu apprenais un jour était obsolète le lendemain ? Toutes les informations que j’ingurgitais quotidiennement n’avaient aucune valeur, des calories vides, un cerveau rempli avec du rien, la vacuité en 140 caractères.

Stop

J’arrête

Maintenant

Je sors la tête de l’ordi. Je m’aperçois que je n’ai pas de vrais souvenirs. Si je n’avais pas ma mémoire secondaire, mes disques durs, mes serveurs, je serais une coquille vide. Toutes ces années je me suis auto-lavé le cerveau. Sans mes photos, et mes vidéos je ne me rappelle pas comment ont grandi mes enfants, les moments que j’ai pu passer avec ma famille, ma femme, mes amis. Tout me parait très loin, je suis détaché, sans émotion. J’ai l’impression que les dix dernières années ont disparu, comme si j’étais passé instantanément de 27 à 37 ans en un clignement d’œil. Un voyage vers le futur. Finalement j’y ai eu droit. C’est moins cool que ce à quoi je m’attendais.

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Restructuring life in progress………..