« Et pour les enfants, on fait comment ? »
De toute façon ça devait arriver. Mon appétence pour le reste de l’univers m’a fait oublier que j’en avais un personnel à gérer. Plus petit mais plus important. Je me suis détaché de tout, plus intéressé par le dernier top topito que par la femme qui rentrait chez moi le soir. Sa voix était un bruit de fond incessant qui se mêlait au reste, une information comme une autre, perdue dans l’océan. Etranger à sa douleur, je ne comprenais pas pourquoi la moindre peccadille prenait autant d’importance, pourquoi elle voulait m’arracher à mon ordinateur alors que j’étais si bien avec mes deux cents amis et leurs vies formidables (« Ahaha on s’amuse trop ! »), leurs soirées extraordinaires pleines de rires et d’alcool (« c’est ma soirée ou c’est pas ma soirée ! »), leurs voyages impossibles (« là c’est moi sur le plage, là c’est moi sur la montagne, là c’est moi dans le désert »), leurs colères que je faisais mienne (« Indignation ! Manifestation !»), leur bonheur familial (« Trop meugnon ton bébé »), Leur tristesse parfois auxquelles je répondais sans appliquer mes propres conseils (« T’inquietes, ça va aller »).
« Je veux pas les traumatiser, ça te dérange pas si on reste dans la même maison ? Pour un temps ? »
Deux ans à faire comme si de rien n’était. J’avais tous les avantages, une vie familiale, internet, des soirées quand je voulais, des potes, de l’alcool, de longues discussions et elle qui s’occupait des enfants. Et pourtant. La tête qui tourne, et toujours les mêmes questions et les mêmes démons. Bon, je suis seul. Je suis tout seul. C’est bien d’être tout seul ? C’est dur d’être seul. Mais c’est bien non ? Tu peux faire ce que tu veux ! Ouais, surtout tu fais ce que tu peux. Les potes de ton âge, ils sont au chaud à la maison avec la marmaille. Les potes plus vieux, ils sortent pas, ils sont fatigués, ils ont une sale gueule, ils ont pas le temps. Pas pour toi. Reste les plus jeunes, ceux qui savent encore s’amuser, ceux qui ont encore le temps avant de devenir sérieux. Nouvelle jeunesse, souvenir de nuit blanche à picoler et à refaire le monde, à reparler des filles et de leurs jupes qui tournent, et qui tournent, et qui tournent la tête surtout. T’es pas vieux. T’es plus vieux. Vieux c’est dans la tête, ça se décide. Mais toi y’a juste un truc que tu as oublié. C’est que les autres ne le savent pas.
« Salut, je peux m’assoir ?
Ça va pas ? T’es pédophile ou quoi ? »
Puis je sors avec cette fille. Rencontrée au boulot mais vraiment rencontrée bien après. Formidable, belle, intelligente, cultivée, fascinante, dans ses contradictions aussi. Elle sort d’un échec, d’un pari échoué et moi je suis là. Je l’aime. On parle beaucoup, tout le temps. On fait de la politique, on fait de l’informatique, elle m’apprend les lettres, elle m’apprend les humains, elle m’apprend tout le temps. Mais je suis pas amoureux. Je sais pas ce que c’est d’être amoureux. J’ai oublié. Je suis anesthésié. Merde, ça s’oublie pas pourtant, l’amour c’est comme le vélo, ça revient vite !
Ben si, ça s’oublie.
Comme on oublie de parler quand ça va pas. Comme on oublie qu’il faut faire attention à l’autre. Comme on oublie qu’on est pas des adolescents et qu’il faut agir en adultes. Et moi j’agis pas en adulte. Tout bouillonne, je veux tout et son contraire. Je la veux elle mais je veux aussi elle, et elle et aussi elle là-bas. Puis je veux qu’elle soit tout le temps avec moi. Puis je veux plus elle me fait chier, puis non en vrai, puis puis puis…Y’a de quoi dire sur cette fille, sur cet échec dont je suis le seul responsable, parce que j’ai fait n’importe quoi, parce que ce n’était pas le moment non plus, parce que je n’ai jamais cru à ses « je t’aime », parce que j’ai eu peur de ses « je t’aime ». Parce que mon cerveau déformé à l’internet ne voit qu’à court terme, et que l’engagement, j’en veux plus, j’ai déjà fait, c’est pas bon pour moi.
« J’ai rencontré quelqu’un. Il va venir habiter avec moi et les enfants. Faut que tu partes »
Restructuring life failure failure failu…..