Depuis quatre ans je vais en vacances à Avignon pendant le festival off de théâtre. J’y retrouve une ambiance incroyablement artistique, une émotion directe et brute, une émulation rare. Chaque jour je marche, je vais voir des spectacles, je rencontre des comédiens, des chanteurs, des artistes. Je vis en immersion. Cette année j’ai décidé de faire un retour sur les pièces que j’ai vu, pourquoi et comment elles m’ont touchées.
Avignon, jour 1
Une chaleur écrasante, en journée, mais la nuit aussi. Forcément je me réfugie dans des bars.
Il y a du monde, mais c’est encore le début, ce n’est pas la foule de milieu de festival, grouillante et colorée.
Depuis plusieurs jours, une amie que j’aime beaucoup m’envoie des messages, pour savoir quand j’arrive. Elle veut qu’on se voie, qu’on discute. Je m’entends bien avec elle. On a eu une rapide aventure l’année dernière, et j’avoue ressentir un petit pincement quand je pense à elle. Beaucoup plus jeune que moi, être â côté d’elle me rajeunit à mon tour, et puis c’est bon pour l’égo.
Sur son conseil, je vais voir mon premier spectacle de la soirée.
PAN !
Un TFE (travail de fin d’étude) de Florent qui fait son chemin jusqu’à Avignon.
15 acteurs pour une adaptation de Peter Pan à mourir de rire, pour enfants et pour adultes.
Une chouette scénographie, des décors, de la lumière, des pétards, mais surtout énormément de générosité, d’envie et d’énergie de la part des acteurs.
Clochette jouée par Marine Barbarit est hilarante de mauvaise foi, avec son phrasé particulier, Crochet est drôle en wanabee Jack Sparrow épuisé, aidé de ses compère (dont Aymeric Haumont, et Thomas Rio) mais les enfants perdus sont parfaits aussi, avec une Lola Blanchard montée sur ressort, à l’opposé du rôle qu’elle avait dans le Zucco de l’année dernière, au même endroit. Peter Pan, joué par Nicolas Ladjici, est formidable aussi, doux et moins cruel que j’aurais voulu, mais toujours hyper engagé.
Bref, la salle en standing ovation pendant plusieurs minutes est la plus belle des preuves.
J’étais descendu à Avignon avec un ami, jeune, beau garçon, charmeur, drôle surtout. C’est toujours un plaisir de passer du temps avec lui. Je l’héberge pendant quelques jours, me disant que je serai moins seul. Évidemment je lui explique ce que je ressens pour la fille avec qui je traîne et je finis par lui présenter. Erreur fatale. C’est marrant comme on peut se tromper sur quelqu’un. Je sens le rapprochement se faire entre eux deux. Je suis impuissant. Lui me regarde, s’amuse de cette situation où il sait ce qu’il se passe en moi, mais en joue. Une fois seul avec moi, il se confond en excuse, m’explique que c’est plus fort que lui, mais qu’il va s’arrêter là. Je ne le crois pas. Il recommence de plus belle, jouissant sans doute de sa supériorité. Elle en joue aussi, sait ce qu’elle veut, et ce qu’elle ne veut pas.
Avignon, jour 2
Ce deuxième jour à/en/sur/tamère Avignon commençait mal. Entre la fatigue de la veille et la chaleur écrasante qui empêche tout sommeil régénérant, j’ai passé une grosse partie de la journée à glandouiller à l’appart’, sans but.
Puis, mon amie revient à l’appartement. Ils sont chez moi, jouent et jouent encore. Je me sens clairement de trop, et je sais que je ne pourrais renverser la situation. Et puis pourquoi ? Prêt à exploser, je pars.
Marchant au hasard dans les rues, je sens ma brume m’envahir. L’expression de ma dépression latente et permanente. Putain de brume, toujours et systématiquement en embuscade. Je sais comment la combattre mais ce n’est pas plus facile à chaque fois. Reformulation, scansion, respiration, rinse and repeat. Je suis tellement fatigué parfois. Vers 18h je me fais alpaguer par un directeur de théâtre qui m’invite à la représentation à suivre d’une comédienne racontant sa vie où je ne sais quoi. Je n’ai rien à faire et besoin de me changer les idées mais ça ne fonctionne pas.
Titre oublié
Parce que ce que je vois n’est pas très intéressant. Ecrit de manière théâtrale et pompeux, je zappe littéralement certains passages, et perds complètement le fil. La comédienne tente et tente, sans succès, mais je m’endors à moitié, au deuxième rang.
La pièce terminée je vais boire un verre, et croise Lucile, une copine de Florent qui me remonte le moral par sa seule présence et sa joie d’être là. Elle est belle, drôle, constamment montée sur ressort. Marrant comme elle ressemble à ma mère au même âge.
Fanny Pocholle
Je décide finalement d’aller voir Fanny Pocholle. La salle n’est pas remplie, mais je ne sais pas pourquoi l’alchimie prend. La première partie est très drôle, avec un gars qui fait de l’humour noir sur sa maladie, la mucoviscidose. On rigole, le public est hyper réactif, on se fait des blagues entre nous, Fanny me prend, gentiment, pour cible pour la suite du spectacle, bref je passe un excellent moment.
On décide d’aller boire un verre, on sympathise et l’un des spectateurs nous propose de continuer la soirée sur son bateau.
C’est à ce moment précis que c’est devenu magique. Ce gars adorable est capitaine d’un putain de bateau de croisière de 110m de long, avec 40 membres d’équipage. Le bateau est absolument magnifique. On visite l’entrepont de grand luxe, la salle des machines à la chaleur infernale, le poste de commande (je me suis pris pour Kirk dans l’Enterprise), le fucking jacuzzi, où on a passé une grosse partie de la soirée en mode open bar, bref hallucinant. Une chance et une soirée surprise comme il n’en arrive pas souvent, en tout cas sans drogue. Ou sans argent.
Marcher au hasard, prendre des décisions simples, suivre le courant, kiffer ce qui vient, une belle journée finalement et fuck le reste.
Entre mon travail sur la brume et cette rencontre, mon moral est bien remonté. J’ai toujours un petit trou dans le cœur, mais je le comble de petits plaisirs et de surprise. Je me couche heureux.
Avignon, jour 3
Malgré une petite pluie salvatrice au milieu de la nuit, la chaleur revient, plus étouffante que jamais. Je continue à me battre contre les soubresauts de la brume qui s’agite dans mon cerveau, repoussant sans relâche ses derniers tentacules amers. Cette fois-ci, j’ai gagné.
Comme d’habitude le début de journée est passé à se balader, à récupérer un peu de la veille. Je passe dans un parc magnifique, je fais une sieste à l’ombre d’un arbre, avec une vue splendide sur Avignon.
En repartant, je vois une affiche pour un spectacle joué à 15h20 par un acteur que j’avais adoré l’année dernière. Chaud-patate, j’attends patiemment l’heure dite pour que finalement la caissière m’annonce qu’ils font relâche aujourd’hui. De la toute-puissance de mon droit de client j’ai envie de hurler : »joue pour moi comédien, joue pour MOI ». Mais je ne le fais pas, parce que je suis gentil au fond.
Choqué et déçu, j’erre à la recherche d’une pièce pour l’après-midi lorsque je tombe une affiche.
Nina, des tomates et des bombes
Altermondialisme et trucs horribles.
La salle est pleine. La comédienne est pleine d’énergie, chante et danse. Le texte est plutôt sympathique même si peu instructif pour les gens qui sont déjà intéressés, et surtout un peu accusatif et moralisateur. Oui je sais, à cause de mon iPhone, des mineurs mineurs meurent en allant chercher des terres rares. Et c’est évidemment ma faute. Entre seum et grosse fatigue, j’ai trouvé que l’actrice ne nous embarquait pas, que ça marchait juste pas. Impression d’avoir un peu raté le coche d’une histoire trop simple et peu recherchée. Une spectatrice derrière dira en sortant et en substance : « c’est une terrible purge. ».
J’ai une heure de battement avant la prochaine pièce, juste le temps de boire une bière. Je rejoints la copine d’hier soir ainsi qu’une fille que j’avais vu l’année dernière que je trouvais super sympa mais qu’il semblerait que j’ai dragué, comme d’habitude sans trop me rendre compte. Moi je débarque en mode Yolo, je lui dis que c’est cool de se voir, que je lui avais couru après cette année pour boire une bière. Je la vois se raidir, sourire gêné. Je ne comprends pas trop, jusqu’à ce que je percute que ça vient déjà de ma façon de parler de l’année dernière et que si ça se trouve je la fais grave flipper.
J’ai une tendance à être un peu gouailleur, rentre-dedans, à pas trop prendre de gants en société. Et tout le monde ne supporte pas ça.
Ça me fait réfléchir sur les conséquences de mes actions, qui dépassent très souvent mes intentions initiales, qu’effectivement je peux mettre mal à l’aise les gens sans le vouloir, et même sans m’en rendre compte. Ce qui fait de moi, basiquement, un gros con. Qui se soigne, qui tente de s’améliorer, mais un gros con tout de même.
Ça m’arrive d’être surpris aussi parfois en bien, souvent en mal. Il m’est arrivé qu’une fille me saute dessus et m’embrasse. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu que je devais le savoir et un de mes amis m’a assuré que je l’avais dragué toute la soirée. Alors que pas du tout, juste je m’intéressais à ce qu’elle disait. A l’inverse je me suis pris des stops de filles qui me recalaient alors que je ne faisais que parler. Mais sans doute que l’attitude, le sourire, l’intérêt envers quelqu’un font partie de la panoplie du charmeur.
C’est l’heure d’aller voir mes amis Florentins jouer une pièce au sujet lourd, la pédophilie dans l’église.
Pardon !
Sur un texte autobiographique de Laurent Martinez, on y suit l’histoire d’un homme victime, qui tente de se reconstruire à l’aide d’une femme récemment rencontrée, et d’un homme d’église coincé entre la pression de ses pairs à protéger l’institution et une bonne sœur qui tente à tout prix d’aider les victimes, elle-même sans véritable pouvoir, rongée par son impuissance.
La mise en scène est simple, le texte intéressant et malgré quelques difficultés à démarrer les premières minutes, on se laisse emporter par cette histoire qui prend une dimension véritablement brutale lorsque Laurent vient face public raconter son histoire, directement, sans filtre. C’est bouleversant.
Féminisme pour homme
Mes deux amies ont été recrutées pour tracter un spectacle et m’invite à aller le voir avec elle. Nous sommes accueillis par Noémie de Lattre, actrice, autrice, metteuse en scène de ce spectacle intitulé Féminisme pour Homme. En quelques minutes à peine, elle fait exploser la salle de rire, nous transforme rapidement en une bande de potes, se lâche complètement et nous fait un cours de féminisme absolument fondamental. En une heure et demi, elle alterne informations et blagues, chante, danse, rit. Sa joie explosive et phénoménale nous entraîne avec elle sans temps mort. Le sujet étant monumental, j’ai trouvé la fin un poil rapide et énumérative, mais c’est simplement de la frustration de ne pas pouvoir en faire plus, en dire plus.
A titre personnel, je n’ai rien appris, tout ce qu’elle disait m’était connu, mais parce que j’ai fait ce chemin depuis 14 ans déjà, l’âge de ma fille. Mais quand tu vois le public en larme, standing ovation, puis des femmes prendre Noémie dans leurs bras expliquant qu’enfin quelqu’un mettait des mots sur leurs maux que tu te rends compte à quel point il y a un putain de problème à régler, une montagne à abattre, que son spectacle devrait être joué dans les collèges, les lycées, les facs même tant on nage dans une merde machiste et patriarcale dégueulasse qui fait du mal à tout le monde. Une actrice formidable avec qui j’aurais aimé passer plus de temps.
Bref, allez-y.
Après plus d’une heure à discuter avec Noémie, je rentre à la maison, fourbu mais content.
Lucile me dira par la suite que j’ai monopolisé la parole alors que des femmes souhaitaient discuter avec l’actrice. Comme quoi, j’ai beau être conscient du patriarcat et de ses problèmes, je continue à comporter comme je l’ai appris, à couper la parole aux femmes, à prendre l’espace. Je déconstruis mais çà prend du temps.
Avignon, jour 4
R.A.S ou presque. Repos jusqu’à 15h30 du mat’, balade dans les rues, siestes, tellement d’heure de sommeil à rattraper. Petit anniversaire sympa de l’ami Arnaud que j’invite à dormir à la maison pour éviter de le faire rentrer trop loin trop tard. On est maintenant quatre à l’appart’, j’ai bien fait de prendre grand.
Avignon jour 5
Arnaud me motive alors on sort direct voir des spectacles à 10h du mat’ en mode stakhanoviste. On débute au Train bleu avec Echos Ruraux.
Échos Ruraux
L’histoire d’une famille dont le père agriculteur vient de mourir en laissant une montagne de dettes après un passage au tout bio complètement raté. A part le protagoniste principal, le fils qui doit reprendre la ferme et ne voit aucune solution, aucune aide, toutes les portes se fermer une à une, tous les autres acteurs jouent plusieurs rôles, parfois membres du conseil municipal dont on voit la difficulté à équilibrer les budgets, devant parfois faire des arbitrages déchirants et inhumains, ou encore en grand-mère dont l’aide à domicile risque de partir suite à une décision administrative lointaine, ou encore la sœur avocate qui a fui la ferme pour vivre sa vie à Paris, faire la grande dame, et bien d’autres encore.
J’ai rarement vu une telle énergie sur scène, une telle vigueur, une telle vibration dans les émotions, du rire parfois, du ressentiment souvent, de la tristesse beaucoup, je me suis laissé complètement embarquer, les yeux mouillés par certaines scènes puissantes, dont celle où le fils explique à sa sœur pourquoi il l’envie, comparable dans l’idée et la réalisation au « Non merci » de Cyrano.
En tant que metteur en scène, j’ai parfois des acteurs que je suis obligé de pousser à fond, à qui je demande d’envoyer la voix, et qui me répondent que ça va faire ‘trop’.
Non. Ça ne fait pas trop. Ça ne fait jamais trop. Quand tu penses que c’est trop, t’es à la moitié de ce qu’il faut faire. Et les acteurs de Echos Ruraux nous le démontre parfaitement.
Maxime Sendré
A midi, je décide d’aller voir Maxime Sendré, déjà vu en première partie de Fanny Pchl. Je le croise dans la rue, il a l’air manifestement très heureux de me voir, sa joie est communicative. J’avais peur que la salle ne soit pas remplie mais je me suis complètement trompé. Salle pleine, avec des professionnels et des festivaliers, tellement que je me retrouve à l’arrière. C’est un one-man show prenant comme thème la mucoviscidose dont il est atteint. Et là c’est un festival de blagues, d’humour noir, de situations absurdes, d’imitations de personnages de films. On croise des médecins, des handicapés, des banquiers. C’est très drôle, enlevé, triste et flippant en même temps. On ne sait jamais si les quintes de toux de Maxime sont réelles ou jouées. Ce n’est vraiment pas simple à voir, on hésite en permanence entre le rire franc et la gêne. Bref c’est très très bien aussi.
Cyrano
Enfin à 14h, un Cyrano (il y en a trois ou quatre à Avignon cette année). Rapide, enjoué, avec de très beaux costumes et une mise en scène moderne, des films et des blagues, ça se tient bien même si c’est évidemment trop rapide pour un tel monument. La fin est un poil bâclée, et si la mort de Cyrano me fait systématiquement pleurer dans un réflexe pavlovien (c’est ouf d’ailleurs, c’est incontrôlable et systématique), là je n’ai dû essuyer qu’une petite rivière de larme au lieu du torrent habituel. Donc très bon moment aussi.
L’après-midi se passe tranquillement, passant de bar en bar, de rencontre amicale en rencontre amicale. Puis à 20h je vais voir Gardienne, dont on m’a vanté les qualités, soit directement (par Sylvain), soit par les affiches et le fait que ce soit complet presque systématiquement.
Gardienne
C’est un seul en scène où l’actrice nous raconte l’histoire des femmes de sa famille mais par le thème des enfants et de l’avortement. Elle incarne tour à tour des grands-mères, des mères, des sœurs, des jeunes puis finalement elle-même et chacune exprime à sa manière ses sentiments et ce qu’elle a dû faire pour éviter d’avoir des enfants dont elle aurait eu la charge exclusive. Peu d’homme sont dépeints positivement (autre époque, autres mœurs, ou pas..), et ce qui ressorts surtout c’est le courage de ces femmes à une époque où l’avortement c’était surtout risquer la mort, les infections, les stérilités et autres joyeusetés dont peu ont idée.
Et bien je dois dire que je n’ai pas aimé.
Le début est très long, le débit de parole est très lent, il y a peu d’humour (pas forcément facile cela dit) et la montée en émotion n’a juste pas du tout marché pour moi. Comme pour les autres spectacles « féministes » que j’ai pu voir, et étant né et ayant été élevé moi-même dans une famille de femmes depuis plusieurs générations, je savais déjà tout ça, on m’avait parlé de ces horreurs, j’étais familier et malheureusement impuissant.
J’ai été successivement les hommes qu’elle décrit, égoïste, charnel, peu investi. J’ai été ce bourreau et je ne pourrais jamais m’excuser plus que je ne l’ai déjà fait. L’histoire aurait dû me toucher, j’étais prêt pour ça. Et c’est peut-être pour ça que je n’ai pas accroché. Tant pis.
Je passe la soirée avec Lucile et quelques personnes de rencontre, très sympas. La place des Corps Saints est pleine de monde, des gens jouent de la musique tzigane, une femme danse dans les rues, les verres s’entrechoquent. On entend des rires, de la joie. Mon regard croise celui de celle qui m’a blessé en début de semaine, la lumière perd un instant de son éclat, je bois un coup, regarde ailleurs, ça va mieux mais je décide de partir rapidement. Comme d’habitude en fin de soirée, je croise Thomas Rio, partage mon histoire, ma journée, il me fait rire. Merci mec.
2h30 du mat’, je me couche, apaisé.
Avignon jour 7, déjà
Ça fait plusieurs jours déjà que je suis en collocation avec Lucile et ça se passe bien. Tous les jours elle me fait rire, saute, danse, chante, c’est un bonheur quotidien. J’ai l’impression de vivre avec ma fille, avec juste quelques années de plus mais le même délire. Après la colloc du début de vacances, ça me change. D’ailleurs, je me rends compte que parcourir Facebook me mets parfois des petits coups au cœur, des piqûres de rappel dont je ne veux pas me rappeler. Pourtant je suis à deux clics d’aller mieux, deux petits clics. Clic. Êtes-vous sûr ? Clic. C’est fait. C’est un pincement, mais je me sens déjà mieux. A l’autre maintenant. Clic. Oui je suis sûr. Clic. Soulagement.
En caleçon sur mon siège en plastique collant, je parcours le guide d’Avignon pour trouver un spectacle. La chaleur et le flemme m’interdise de sortir avant 12h. Sur une page au hasard, je tombe sur « La contrebasse » sur un texte de Suskind, l’auteur du Parfum qui m’avait mis une petite claque quand j’ai vu le film. J’avais aidé une amie à travailler sur une partie du texte et j’avais bien aimé. Quelques minutes après je me rends au théâtre, à l’extérieur des remparts.
La contrebasse
Sur un décor minimaliste mais sympathique, l’imposant comédien nous raconte sa relation particulière à la musique, à son instrument, énorme, qui prend de la place dans sa vie professionnelle, sa vie amoureuse aussi, toujours là, ne le quittant jamais. Il boit, enchaîne les bières pendant une heure et demi, perd de plus en plus pied avec la réalité. On comprend qu’il n’est pas à sa place, qu’il n’a pas forcément choisi, qu’il a agi à la suite d’une rébellion pathétique contre l’autorité parentale, qu’il n’est finalement qu’un ouvrier de la musique, détestant son outil, ses pairs, et ses héros, mais ne sachant rien faire d’autre. Un seul espoir, ténu, impossible, une jeune fille, inatteignable, hors de portée, désynchronisée. Va-t-il attirer son attention ? Comment ? Et surtout pourquoi ?
Bon, autant vous dire que malgré une ou deux longueurs, j’ai adoré le texte et l’interprétation de cet homme plus fatigué qu’alcoolisé, triste et flamboyant.
Et puis ça me fait réfléchir, je me projette. Après tout malgré mes tentatives artistiques, qu’est-ce que je suis au fond, à part un informaticien ? Qu’est-ce que j’ai vraiment tenté ? Est-ce que j’ai vraiment tout fait pour sortir de ma zone de confort ?
Je profite du fait que les pintes sont moins chères qu’ailleurs pour rester un peu avant le prochain spectacle. L’acteur est là, me regarde, me dit qu’il m’a vu dans le public, me demande mon avis. On parle une heure de la pièce, de son rapport au métier. Il me dit qu’un festival amateur au fort potentiel va prendre place en Avignon au mois d’Août. Ça lui fait plaisir de voir d’authentique passionnés. « Mais dans ce métier, ne sommes-nous pas tous passionnés ? ». Il me regarde un instant, sourit puis me dit : « Pour la plupart des professionnels, c’est un métier, juste un métier ».
Depuis le temps que je rencontre des comédiens, je me rends compte que la passion qui m’anime, l’envie absolue de ressentir et faire ressentir des émotions disparaît ou se réduit avec l’expérience, comme si le fait d’en vivre devait impérativement éteindre la flamme. J’ai eu le même retour dans le milieu du jeu vidéo, un rêve pour ceux qui n’y sont pas, un métier comme un autre, un désenchantement, pour ceux qui y sont.
En repartant je croise mon amie Émilie et décide d’aller voir Hot House que j’ai déjà vu plusieurs fois mais pas dans la forme actuelle.
Hot House
Dans une prison/hôpital psy éloigné, un directeur frappadingue, et le comité de direction tentent de faire face à la mort d’un patient, et à l’accouchement surprise d’une autre, violée par un membre du personnel dont on ne connaît pas l’identité. Comme à chaque fois j’ai bien aimé, probablement le public aussi vu la salle quasi pleine depuis le début du festival. Je dois avouer ne toujours pas comprendre complètement l’histoire mais c’est drôle, rythmé (sauf à une ou deux reprises), déjanté alors ça me va. Je regrette simplement le choix d’intention donné au personnage du Directeur que je trouve en colère en permanence et pour lequel je verrais plus de nuances, de folie, et de pathétisme.
Évidemment ce n’est en rien la faute d’Hugo, qui défend très bien le choix actuel, mais pour une prochaine version, je crois que c’est une direction à prendre.
Je croise plein de potes d’un coup, Alexandre, Hubert et d’autres. On boit des coups, on reparle de Florent, de Hugues, mon prof préféré de tous les temps, on refait ces quelques années de théâtre qui nous ont tous transformé, on compare nos expériences et nos envies.
Klotilde
A 19h30 je cours voir Klotilde, un seul en scène très drôle.
A un moment elle demande au public qui est venu à cause de l’affiche où elle se découvre pas mal, évidemment je lève la main, je ne suis pas seul, le public rit, elle me dit qu’elle ne se mettra pas à poil, que j’ai été eu, mais ce n’est pas grave, j’ai pas mal bu avant, je suis à 3 grammes, je m’en fous, elle est marrante. C’est du stand-up, elle parle de tout et de rien, je ne saurais même pas dire le thème. J’ai passé un moment agréable, pas ouf mais bien.
La fin est un peu rapide, elle ne parle pas trop au public, démonte son matériel en pensant à autre chose. Je me remémore la discussion avec l’acteur de la contrebasse sur la passion.
Le sourire de Lisa
À 21h20 je vais voir le Sourire de Lisa, un peu plus d’une heure de délire ininterrompu sur le développement personnel, l’accès à sa conscience, à Dieu ou au souffle ou à Leonard de Vinci de l’autoroute ou, ou, ou… C’est bourré de jeu de mot, de référence alakon, et d’explications foireuses dites avec le plus grand sérieux par un formidable acteur belge, forcément.
En sortant je fais la rencontre de la maman de ma colocataire. Elle s’appelle Laetitia. Je bloque sur son visage, qui me fait penser à ma mère. Un truc de dingue, une cousine sans doute. On parle beaucoup, on rigole beaucoup, j’ai l’impression que c’est un truc de famille. On parle boulot, elle organise des stages artistiques, je veux participer ! On décide de se revoir le lendemain, je suis content de ma soirée. Qu’est-ce qu’elle est belle. Sans le vouloir elle me renvoie à ma relation avec les femmes en général. Depuis le théâtre je sors souvent avec des filles plus jeunes que moi, parfois beaucoup plus jeunes comme celle du début d’Avignon, et je suis souvent déçu. Mais j’y retourne quand même, ayant la sensation diffuse qu’il faut que je sois « utile », une espèce de connerie de mentorat peut-être, que je n’ai pas de valeur si je n’apprends pas quelque chose aux autres, si je ne les aide pas. Evidemment, ça fonctionne assez peu. Et puis sans doute ai-je peur que la personne avec qui je suis se rende compte que je suis vide. C’est comme s’il fallait que je sois constamment en mouvement, que je ne peux être intéressant et aimable si je suis juste moi. En deux jours, je me rends compte que l’âge ne fait rien à l’affaire. Elle est magnifique, plus âgée que moi mais aussi jeune dans la tête, artiste, fantasque, tout ce que j’aime et que je retrouve rarement chez les gens de ma génération.
Avignon, Fin
Je suis rentré depuis quelques jours, la tête toujours pleine de soleil et de spectacles formidables.
Comédiens !
Comédiens ! a été ma claque d’Avignon. Une bande de comédiens ont trois heures pour se préparer à présenter une pièce dans un nouveau théâtre, mais ils n’ont que la moitié des décors et un acteur ne connait son texte.
C’est joué par trois acteurs/chanteurs (une demi-douzaine de moments musicaux) absolument dingues, c’est drôle à en pleurer puis la tragédie prend place et on continue à pleurer mais pas pour la même chose. C’est magnifiquement joué, sans temps morts. Standing ovation et tout et tout. Au moment de partir, un immense Viking se lève devant moi, tatoué de partout, barbes et cheveux longs, il se tourne, il y a les yeux mouillés de larmes et me dit : « ça va être dur de s’en remettre hein. »
Nos Pénis Divergent
Sur un ton plus léger, je suis allé voir Nos Pénis Divergent. Deux Pénis sont interviewés par un présentateur déjanté façon Ardisson. Le premier appartient plutôt à un geek et le second à un beau gosse, toujours fier et droit.
Bon, je suis arrivé avec une bonne pinte dans le nez, je suis allé au premier rang et j’ai commencé à tchatcher avec le deuxième rang, déjà hilare. Autant dire que quand le spectacle a commencé, le public était déjà chaud bouillant. C’est très drôle, pas très bien joué en général mais extrêmement généreux. Ça ne s’arrête pas un seul instant, enchainant vanne sur vanne, et souvent beaucoup plus fines que ce à quoi je m’attendais. Ça réussit l’exploit de ne pas être grossier, tout en étant parfois informatif.
Bref, très bien aussi.
Et Dieu créa la voix
Un one man avec beaucoup de chant. L’acteur explique comment s’est créé sa voix et sa passion pour le chant. Il raconte différentes étapes de sa vie, son enfance, ses parents, puis ses métiers avant d’en arriver devant nous, et comment sa voix s’est transformée pendant ce voyage.
C’est très drôle et les moments musicaux sont assez incroyables. Surtout quand on est à 1 mètre, comme je l’étais. C’est généreux.
Tel père telle fille
Enfin, Tel Père, Telle Fille, avec Lucile est une pièce drôle et émouvante où une fille entretient une relation fusionnelle avec son père et n’ose pas lui avouer sa grossesse. Il y a deux acteurs, plus un troisième au téléphone et pourtant très présent. J’ai évidemment été touché par cette histoire dont le nœud n’est pas un conflit, mais bien l’amour. C’est parce qu’ils s’aiment profondément, que cette incompréhension arrive.
Je me suis beaucoup amusé, mais je suis content d’être rentré.
Big up à toutes les formidables rencontres faites sur place, et aux surprises de la vie, bonnes ou mauvaises qui fait qu’on se sent vivant.