La légende de l’homme-colère

Il y a quelques temps de cela, j’avais écrit une petite histoire pour être incluse dans le Chagar, l’aide de jeu pour Bloodlust paraissant toutes les deux semaines. Elle n’a pas été retenue, alors je la poste ici, pour la postérité. L’histoire est normalement lisible même par des non-initiés à cet univers plein de magie, de rage, de mort et d’armes magiques même s’il reste quelques références.

Le style correspond à une manière de raconter que j’ai voulu proche des légendes orales échangées par les conteurs gadhars.


La légende de l’homme-colère

Il y a bien longtemps vivait dans la jungle un jeune homme plein de sagesse du nom de Madoumé. Il était le fils de Koumba, le chef du village et avait tout pour lui succéder. Il aimait accompagner son père lors des chasses rituelles et écouter son savoir. On raconte aussi que Madoumé possédait des pouvoirs magiques. Il savait prévoir le temps et pouvait parfois l’appeler pour aider les chasseurs et les cueilleurs dans leur travail.

Un jour, lors d’une rencontre festive entre tribus, il rencontra une jeune fille de son âge. Abakou était belle, grosse et fertile et Madoumé la séduisit en utilisant le chant des anciens, comme son père la savait et son père avant lui. La magie dans sa voix, les yeux étincelants de Madoumé et sa position dans le village eurent raison des réticences de la jeune fille et le soir même Abakou et Madoumé s’aimèrent.

Le lendemain, la réunion des tribus sombra dans le rouge et le vert. La tribu des guerriers Jikola s’était parée des couleurs de la mort et les guerriers fondirent sur les amis de Madoumé. Le sang coula ce jour-là et dans l’agitation les amoureux furent séparés. Madoumé était blessé car sa jambe avait été transpercée par une lance ennemie. Son corps trembla de longues lunes pendant lesquelles son esprit cherchait Abakou. Lorsqu’il se réveilla, il tenait un bâton de marche cerclé de fer, un cadeau que son père avait fait fabriquer pour lui. La jambe de Madoumé ne reviendrait jamais et il aurait maintenant toujours besoin d’aide.

Tous les jours après son réveil, il essayait de marcher, mais la douleur et la fatigue l’empêchait de rester debout très longtemps. Malgré les conseils de son père et des autres membres du village, il ne put oublier celle qu’il avait aimée. Tous les jours, il pensait à elle, jetant son bâton à terre de rage, le reprenant ensuite et gravant sur celui-ci les signes de son amour. Un cycle complet se déroula ainsi, Madoumé luttant à la fois contre la douleur de son membre perdu, et contre son esprit qui lui envoyait sans cesse des images d’Abakou. Puis un jour, un éclaireur revint au village les yeux fous et le front couvert de sueur. Il avait retrouvé la trace des Jikola et Abakou était parmi eux.

A ces mots, Madoumé se redressa sur sa jambe à l’aide de son bâton et s’adressa à ses amis. Ce soir-là il parla longuement, utilisant le chant des anciens comme d’un aiguillon acéré pour piquer l’âme des villageois et leur donner l’envie de se venger. Sa langue était de miel et chacun buvait ses paroles tandis que la colère montait. Enfin il leva le poing et se dirigea vers le camp de ses ennemis.

Les Jikola étaient de grands guerriers mais ils furent surpris par la rage du peuple de Madoumé. Ils se tenaient paralysés en voyant les visages déformés de leurs assaillants. Alors que Madoumé levait son bâton au-dessus de sa tête, prêt à tuer le chef des Jikola, il fut interrompu par un cri. Il se retourna et fit face au visage d’une guerrière qu’il reconnut immédiatement.

La voix de Madoumé gronda comme le tonnerre au travers de la pluie qui tombait en trombe dans la jungle. « Que fais-tu mon aimée ? Pourquoi m’empêches-tu de tuer celui qui t’a arraché à moi ? ». Et Abakou répondit : « Je ne suis pas ton aimée Madoumé, et je ne te laisserai pas tuer mon père. ». Aucun mot n’aurait pu faire plus de mal à Madoumé. Il comprit alors qu’il n’avait été qu’un instrument, qu’un jouet dans les mains de la belle Abakou, envoyée pour le distraire tandis que les Jikola tuaient et s’abreuvaient de sang. Quelques instants passèrent, seulement ponctués du râle lointain des agonisants et de la pluie qui battait les feuilles de la canopée.

Puis Madoumé hurla tellement fort que le son de sa voix s’entendit dans toute la jungle. Les pères eux-mêmes se retournèrent. Touché par se détresse, ils le bénirent pour l’aider à se venger. Sans s’arrêter de hurler, Madoumé frappa et frappa encore. Il tua le chef Jikola en lui perçant le cœur puis il tua Abakou en lui fracassant le crâne. La mâchoire crispée, le cri de Madoumé mourut dans sa gorge. Les yeux fous, il se tourna vers les survivants et entrepris de les tuer un par un. Ce jour-là tous les Jikola moururent. Mais sa rage ne s’arrêta pas et tandis que l’orage explosait au-dessus de sa tête et que le ciel se zébrait d’éclairs, il se retourna contre ses amis et les tua à leur tour sans leur laisser aucune chance ni répit.

Une fois sa vengeance assouvie, Madoumé disparut dans la jungle pour toujours. Nul ne sait ce qui lui arriva ensuite mais lorsqu’on entend l’orage là où il n’y avait rien, lorsque le tonnerre tonne plus fortement que d’habitude, nous savons que Madoumé, l’homme-colère est peut-être là, dehors et hurle.

Certains racontent l’avoir vu dans les plaines du centre. Une fois par an, lorsqu’Oephis croise Naenerg, le ciel s’ouvre et la pluie tombe pendant sept jours. On dit que ce sont les larmes de l’homme-colère qui pleure la mort des siens et qu’il se tient là, sur la plus haute colline attendant ceux qui pourront le tuer et ainsi le délivrer de sa malédiction.

 

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