Théatre

Création automatique de répertoires pour rangement de ma théatrothèque

Depuis que j’ai commencé le théâtre, je me suis constitué un stock de pièces de théâtre, de textes anciens ou contemporains, de cours, et d’autres informations pouvant m’aider dans mon apprentissage du métier d’acteur. Jusqu’à maintenant, j’étais le seul à m’en servir, mais depuis peu je suis dans un cours amateur près de chez moi et j’ai partagé cette théatrothèque avec mes chers collègues, qui en ont profité pour l’enrichir à leur tour. Du coup, pour mieux m’y retrouver, j’ai fait du ménage.


Premièrement à coup de Bulk Rename, j’ai renommé tous les fichiers en mettant l’auteur en premier puis un séparateur  » – « , en enfin le nom de la pièce ou du livre.

Pour que les noms soient normalisés, j’ai aussi utilisé l’option « Title » de Bulk Rename pour mettre tous les noms de fichiers en minuscules avec la première lettre de chaque mot en majuscules.

Enfin et surtout j’ai décidé de créer un répertoire par auteur. C’est là que j’ai utilisé deux lignes de commandes magiques que voici (lancées sous Windows via cmder, une console qui comporte quelques commandes Linux)

D’abord je crée une liste de tous les fichiers

  • Ls : liste les fichiers
  • awk : récupère uniquement le nom de l’auteur. Le FS contient le séparateur. Le print $1 imprime le premier champ, donc tout ce qui se trouve avant le séparateur.
  • sort et uniq : permet de trier la liste et de ne conserver qu’un seul nom
  • dir.txt : le fichier dans lequel sera écrit la liste

Ensuite j’ouvre dir.txt pour vérifier que tout est ok et éventuellement nettoyer les scories à la main.

Enfin, une petite commande perl en une ligne que me crée tout ça automatiquement.

Je ne connais pas bien Perl, et je me suis contenté de récupérer cette ligne sur le net, juste en changeant évidemment le nom de fichier.

Et hop, toute une liste de répertoire créée quasi instantanément.

Bon, j’ai finis de déplacer les fichiers manuellement, surtout par flemme de le faire en ligne de commande, mais aussi pour vérifier que tout était ok à chaque fois.

Et hop, une chouette théâtrothèque, bien rangée, et bien partagée via mon Nextcloud, le tout en moins d’une heure, recherches comprises.

Carte Blanche – L’amour comme maladie

Je note beaucoup de choses, des idées pour toutes mes activités, des bouts de textes orphelins, sans queue ni tête souvent, et parfois, comme ici, je retrouve des textes avortés. Celui-ci a été écrit pour une carte blanche au théâtre, la possibilité de faire ce qu’on veut. Je ne l’ai jamais joué. C’est un premier jet, pas travaillé, que je ne retravaillerai sans doute jamais. Il a donc toute sa place dans ma mémoire secondaire.


Je sais pas ce que j’ai, Je me suis fait mal. Ça me lance dans la poitrine. Un truc con en plus. Je suis tombé sur de l’amour. Oh un petit truc pas grand chose mais ça pique bien. C’est arrivé y’a pas longtemps, j’allais en cours, elle m’a regardé, je savais pas moi, je l’ai regardé aussi. Je sais pas pourquoi j’ai fait ça, ah j’ai fait le con c’est sûr. L’accident bête quoi. On manque de vigilance pendant une seconde et paf ça vous tombe dessus.
Et puis après ça dérive vite. Ça empire je vous dis pas ! Un cinéma, un baiser, ça prend pas longtemps avant qu’on se prenne la main, qu’on se retrouve à poil chez l’un ou chez l’autre à jouer au docteur.

C’est pénible tout de même cette douleur non ? Ça vient d’un coup on sait pas quand ca va partir.
Et puis y’a souvent des effets secondaires !
On parle tout le temps, on rit comme des imbéciles, on se touche beaucoup (brrr), on se fait un monde à nous, rien qu’à nous. Et le pire je crois, c’est qu’on se met à rêver. Ah oui, c’est n’importe quoi ! On rêve ! On n’a plus les pieds sur terre. On pense à l’autre tout le temps ! On fait des projets, on se dit des choses qu’on pense mais on sait même pas si ce sera possible, on fait pas attention, de la témérité.
Ah oui aussi, il y a le manque. C’est terrible le manque. Ça vous fait pas ça à vous ? Moi ça me fait comme des petites aiguilles qu’on me planterait dans le corps, dans le ventre et dans les yeux. Et puis d’un coup, quand on voit son partenaire, c’est comme une bouffée oxygène, comme si on remontait d’un coup des profondeurs glacées, on a plus peur, on a plus mal, on est juste bien.

Ah je sais plus quoi faire.
Vous auriez pas une pommade ? Une pilule magique ? Un truc pour arrêter ça ?
Non bien sûr. Ça n’existe pas. Le laboratoire qui trouverait une pilule contre ça ferait fortune. Mieux que le vaccin contre le cancer.
Il paraît que l’amour déclenche autant d’endorphine et de dopamine (les hormones du plaisir) qu’un shoot d’héroïne. Je vous le dit moi c’est une belle saloperie !
Et qu’est ce que font les pouvoirs publics contre ça ?
Rien ! Ils font rien ! La droite comme la gauche hein, y’en a pas un pour rattraper l’autre de ce point de vue, ils sont contre l’amour. Les salauds. Ils s’en foutent, ils aiment personne. Complètement déconnectés les zozos. Tu m’étonnes que la France va mal.

Retour sur Avignon off, 2019

Depuis quatre ans je vais en vacances à Avignon pendant le festival off de théâtre. J’y retrouve une ambiance incroyablement artistique, une émotion directe et brute, une émulation rare. Chaque jour je marche, je vais voir des spectacles, je rencontre des comédiens, des chanteurs, des artistes. Je vis en immersion. Cette année j’ai décidé de faire un retour sur les pièces que j’ai vu, pourquoi et comment elles m’ont touchées.


Avignon, jour 1

Une chaleur écrasante, en journée, mais la nuit aussi. Forcément je me réfugie dans des bars.

Il y a du monde, mais c’est encore le début, ce n’est pas la foule de milieu de festival, grouillante et colorée.

Depuis plusieurs jours, une amie que j’aime beaucoup m’envoie des messages, pour savoir quand j’arrive. Elle veut qu’on se voie, qu’on discute. Je m’entends bien avec elle. On a eu une rapide aventure l’année dernière, et j’avoue ressentir un petit pincement quand je pense à elle. Beaucoup plus jeune que moi, être â côté d’elle me rajeunit à mon tour, et puis c’est bon pour l’égo.

Sur son conseil, je vais voir mon premier spectacle de la soirée.

PAN !

Un TFE (travail de fin d’étude) de Florent qui fait son chemin jusqu’à Avignon.

15 acteurs pour une adaptation de Peter Pan à mourir de rire, pour enfants et pour adultes.

Une chouette scénographie, des décors, de la lumière, des pétards, mais surtout énormément de générosité, d’envie et d’énergie de la part des acteurs.

Clochette jouée par Marine Barbarit est hilarante de mauvaise foi, avec son phrasé particulier, Crochet est drôle en wanabee Jack Sparrow épuisé, aidé de ses compère (dont Aymeric Haumont, et Thomas Rio) mais les enfants perdus sont parfaits aussi, avec une Lola Blanchard montée sur ressort, à l’opposé du rôle qu’elle avait dans le Zucco de l’année dernière, au même endroit. Peter Pan, joué par Nicolas Ladjici, est formidable aussi, doux et moins cruel que j’aurais voulu, mais toujours hyper engagé.

Bref, la salle en standing ovation pendant plusieurs minutes est la plus belle des preuves.

J’étais descendu à Avignon avec un ami, jeune, beau garçon, charmeur, drôle surtout. C’est toujours un plaisir de passer du temps avec lui. Je l’héberge pendant quelques jours, me disant que je serai moins seul. Évidemment je lui explique ce que je ressens pour la fille avec qui je traîne et je finis par lui présenter. Erreur fatale. C’est marrant comme on peut se tromper sur quelqu’un. Je sens le rapprochement se faire entre eux deux. Je suis impuissant. Lui me regarde, s’amuse de cette situation où il sait ce qu’il se passe en moi, mais en joue. Une fois seul avec moi, il se confond en excuse, m’explique que c’est plus fort que lui, mais qu’il va s’arrêter là. Je ne le crois pas. Il recommence de plus belle, jouissant sans doute de sa supériorité. Elle en joue aussi, sait ce qu’elle veut, et ce qu’elle ne veut pas.

Avignon, jour 2

Ce deuxième jour à/en/sur/tamère Avignon commençait mal. Entre la fatigue de la veille et la chaleur écrasante qui empêche tout sommeil régénérant, j’ai passé une grosse partie de la journée à glandouiller à l’appart’, sans but.

Puis, mon amie revient à l’appartement. Ils sont chez moi, jouent et jouent encore. Je me sens clairement de trop, et je sais que je ne pourrais renverser la situation. Et puis pourquoi ? Prêt à exploser, je pars.

Marchant au hasard dans les rues, je sens ma brume m’envahir. L’expression de ma dépression latente et permanente. Putain de brume, toujours et systématiquement en embuscade. Je sais comment la combattre mais ce n’est pas plus facile à chaque fois. Reformulation, scansion, respiration, rinse and repeat. Je suis tellement fatigué parfois. Vers 18h je me fais alpaguer par un directeur de théâtre qui m’invite à la représentation à suivre d’une comédienne racontant sa vie où je ne sais quoi. Je n’ai rien à faire et besoin de me changer les idées mais ça ne fonctionne pas.

Titre oublié

Parce que ce que je vois n’est pas très intéressant. Ecrit de manière théâtrale et pompeux, je zappe littéralement certains passages, et perds complètement le fil. La comédienne tente et tente, sans succès, mais je m’endors à moitié, au deuxième rang.

La pièce terminée je vais boire un verre, et croise Lucile, une copine de Florent qui me remonte le moral par sa seule présence et sa joie d’être là. Elle est belle, drôle, constamment montée sur ressort. Marrant comme elle ressemble à ma mère au même âge.

Fanny Pocholle

Je décide finalement d’aller voir Fanny Pocholle. La salle n’est pas remplie, mais je ne sais pas pourquoi l’alchimie prend. La première partie est très drôle, avec un gars qui fait de l’humour noir sur sa maladie, la mucoviscidose. On rigole, le public est hyper réactif, on se fait des blagues entre nous, Fanny me prend, gentiment, pour cible pour la suite du spectacle, bref je passe un excellent moment.

On décide d’aller boire un verre, on sympathise et l’un des spectateurs nous propose de continuer la soirée sur son bateau.

C’est à ce moment précis que c’est devenu magique. Ce gars adorable est capitaine d’un putain de bateau de croisière de 110m de long, avec 40 membres d’équipage. Le bateau est absolument magnifique. On visite l’entrepont de grand luxe, la salle des machines à la chaleur infernale, le poste de commande (je me suis pris pour Kirk dans l’Enterprise), le fucking jacuzzi, où on a passé une grosse partie de la soirée en mode open bar, bref hallucinant. Une chance et une soirée surprise comme il n’en arrive pas souvent, en tout cas sans drogue. Ou sans argent.

Marcher au hasard, prendre des décisions simples, suivre le courant, kiffer ce qui vient, une belle journée finalement et fuck le reste.

Entre mon travail sur la brume et cette rencontre, mon moral est bien remonté. J’ai toujours un petit trou dans le cœur, mais je le comble de petits plaisirs et de surprise. Je me couche heureux.

Avignon, jour 3

Malgré une petite pluie salvatrice au milieu de la nuit, la chaleur revient, plus étouffante que jamais. Je continue à me battre contre les soubresauts de la brume qui s’agite dans mon cerveau, repoussant sans relâche ses derniers tentacules amers. Cette fois-ci, j’ai gagné.

Comme d’habitude le début de journée est passé à se balader, à récupérer un peu de la veille. Je passe dans un parc magnifique, je fais une sieste à l’ombre d’un arbre, avec une vue splendide sur Avignon.

En repartant, je vois une affiche pour un spectacle joué à 15h20 par un acteur que j’avais adoré l’année dernière. Chaud-patate, j’attends patiemment l’heure dite pour que finalement la caissière m’annonce qu’ils font relâche aujourd’hui. De la toute-puissance de mon droit de client j’ai envie de hurler : »joue pour moi comédien, joue pour MOI ». Mais je ne le fais pas, parce que je suis gentil au fond.

Choqué et déçu, j’erre à la recherche d’une pièce pour l’après-midi lorsque je tombe une affiche.

Nina, des tomates et des bombes

Altermondialisme et trucs horribles.

La salle est pleine. La comédienne est pleine d’énergie, chante et danse. Le texte est plutôt sympathique même si peu instructif pour les gens qui sont déjà intéressés, et surtout un peu accusatif et moralisateur. Oui je sais, à cause de mon iPhone, des mineurs mineurs meurent en allant chercher des terres rares. Et c’est évidemment ma faute. Entre seum et grosse fatigue, j’ai trouvé que l’actrice ne nous embarquait pas, que ça marchait juste pas. Impression d’avoir un peu raté le coche d’une histoire trop simple et peu recherchée. Une spectatrice derrière dira en sortant et en substance : « c’est une terrible purge. ».

J’ai une heure de battement avant la prochaine pièce, juste le temps de boire une bière. Je rejoints la copine d’hier soir ainsi qu’une fille que j’avais vu l’année dernière que je trouvais super sympa mais qu’il semblerait que j’ai dragué, comme d’habitude sans trop me rendre compte. Moi je débarque en mode Yolo, je lui dis que c’est cool de se voir, que je lui avais couru après cette année pour boire une bière. Je la vois se raidir, sourire gêné. Je ne comprends pas trop, jusqu’à ce que je percute que ça vient déjà de ma façon de parler de l’année dernière et que si ça se trouve je la fais grave flipper.

J’ai une tendance à être un peu gouailleur, rentre-dedans, à pas trop prendre de gants en société. Et tout le monde ne supporte pas ça.

Ça me fait réfléchir sur les conséquences de mes actions, qui dépassent très souvent mes intentions initiales, qu’effectivement je peux mettre mal à l’aise les gens sans le vouloir, et même sans m’en rendre compte. Ce qui fait de moi, basiquement, un gros con. Qui se soigne, qui tente de s’améliorer, mais un gros con tout de même.

Ça m’arrive d’être surpris aussi parfois en bien, souvent en mal. Il m’est arrivé qu’une fille me saute dessus et m’embrasse. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu que je devais le savoir et un de mes amis m’a assuré que je l’avais dragué toute la soirée. Alors que pas du tout, juste je m’intéressais à ce qu’elle disait. A l’inverse je me suis pris des stops de filles qui me recalaient alors que je ne faisais que parler. Mais sans doute que l’attitude, le sourire, l’intérêt envers quelqu’un font partie de la panoplie du charmeur.

C’est l’heure d’aller voir mes amis Florentins jouer une pièce au sujet lourd, la pédophilie dans l’église.

Pardon !

Sur un texte autobiographique de Laurent Martinez, on y suit l’histoire d’un homme victime, qui tente de se reconstruire à l’aide d’une femme récemment rencontrée, et d’un homme d’église coincé entre la pression de ses pairs à protéger l’institution et une bonne sœur qui tente à tout prix d’aider les victimes, elle-même sans véritable pouvoir, rongée par son impuissance.

La mise en scène est simple, le texte intéressant et malgré quelques difficultés à démarrer les premières minutes, on se laisse emporter par cette histoire qui prend une dimension véritablement brutale lorsque Laurent vient face public raconter son histoire, directement, sans filtre. C’est bouleversant.

Féminisme pour homme

Mes deux amies ont été recrutées pour tracter un spectacle et m’invite à aller le voir avec elle. Nous sommes accueillis par Noémie de Lattre, actrice, autrice, metteuse en scène de ce spectacle intitulé Féminisme pour Homme. En quelques minutes à peine, elle fait exploser la salle de rire, nous transforme rapidement en une bande de potes, se lâche complètement et nous fait un cours de féminisme absolument fondamental. En une heure et demi, elle alterne informations et blagues, chante, danse, rit. Sa joie explosive et phénoménale nous entraîne avec elle sans temps mort. Le sujet étant monumental, j’ai trouvé la fin un poil rapide et énumérative, mais c’est simplement de la frustration de ne pas pouvoir en faire plus, en dire plus.

 A titre personnel, je n’ai rien appris, tout ce qu’elle disait m’était connu, mais parce que j’ai fait ce chemin depuis 14 ans déjà, l’âge de ma fille. Mais quand tu vois le public en larme, standing ovation, puis des femmes prendre Noémie dans leurs bras expliquant qu’enfin quelqu’un mettait des mots sur leurs maux que tu te rends compte à quel point il y a un putain de problème à régler, une montagne à abattre, que son spectacle devrait être joué dans les collèges, les lycées, les facs même tant on nage dans une merde machiste et patriarcale dégueulasse qui fait du mal à tout le monde. Une actrice formidable avec qui j’aurais aimé passer plus de temps.

Bref, allez-y.

Après plus d’une heure à discuter avec Noémie, je rentre à la maison, fourbu mais content.

Lucile me dira par la suite que j’ai monopolisé la parole alors que des femmes souhaitaient discuter avec l’actrice. Comme quoi, j’ai beau être conscient du patriarcat et de ses problèmes, je continue à comporter comme je l’ai appris, à couper la parole aux femmes, à prendre l’espace. Je déconstruis mais çà prend du temps.

Avignon, jour 4

R.A.S ou presque. Repos jusqu’à 15h30 du mat’, balade dans les rues, siestes, tellement d’heure de sommeil à rattraper. Petit anniversaire sympa de l’ami Arnaud que j’invite à dormir à la maison pour éviter de le faire rentrer trop loin trop tard. On est maintenant quatre à l’appart’, j’ai bien fait de prendre grand.

Avignon jour 5

Arnaud me motive alors on sort direct voir des spectacles à 10h du mat’ en mode stakhanoviste. On débute au Train bleu avec Echos Ruraux.

Échos Ruraux

L’histoire d’une famille dont le père agriculteur vient de mourir en laissant une montagne de dettes après un passage au tout bio complètement raté. A part le protagoniste principal, le fils qui doit reprendre la ferme et ne voit aucune solution, aucune aide, toutes les portes se fermer une à une, tous les autres acteurs jouent plusieurs rôles, parfois membres du conseil municipal dont on voit la difficulté à équilibrer les budgets, devant parfois faire des arbitrages déchirants et inhumains, ou encore en grand-mère dont l’aide à domicile risque de partir suite à une décision administrative lointaine, ou encore la sœur avocate qui a fui la ferme pour vivre sa vie à Paris, faire la grande dame, et bien d’autres encore.

J’ai rarement vu une telle énergie sur scène, une telle vigueur, une telle vibration dans les émotions, du rire parfois, du ressentiment souvent, de la tristesse beaucoup, je me suis laissé complètement embarquer, les yeux mouillés par certaines scènes puissantes, dont celle où le fils explique à sa sœur pourquoi il l’envie, comparable dans l’idée et la réalisation au « Non merci » de Cyrano.

En tant que metteur en scène, j’ai parfois des acteurs que je suis obligé de pousser à fond, à qui je demande d’envoyer la voix, et qui me répondent que ça va faire ‘trop’.

Non. Ça ne fait pas trop. Ça ne fait jamais trop. Quand tu penses que c’est trop, t’es à la moitié de ce qu’il faut faire. Et les acteurs de Echos Ruraux nous le démontre parfaitement.

Maxime Sendré

A midi, je décide d’aller voir Maxime Sendré, déjà vu en première partie de Fanny Pchl. Je le croise dans la rue, il a l’air manifestement très heureux de me voir, sa joie est communicative. J’avais peur que la salle ne soit pas remplie mais je me suis complètement trompé. Salle pleine, avec des professionnels et des festivaliers, tellement que je me retrouve à l’arrière. C’est un one-man show prenant comme thème la mucoviscidose dont il est atteint. Et là c’est un festival de blagues, d’humour noir, de situations absurdes, d’imitations de personnages de films. On croise des médecins, des handicapés, des banquiers. C’est très drôle, enlevé, triste et flippant en même temps. On ne sait jamais si les quintes de toux de Maxime sont réelles ou jouées. Ce n’est vraiment pas simple à voir, on hésite en permanence entre le rire franc et la gêne. Bref c’est très très bien aussi.

Cyrano

Enfin à 14h, un Cyrano (il y en a trois ou quatre à Avignon cette année). Rapide, enjoué, avec de très beaux costumes et une mise en scène moderne, des films et des blagues, ça se tient bien même si c’est évidemment trop rapide pour un tel monument. La fin est un poil bâclée, et si la mort de Cyrano me fait systématiquement pleurer dans un réflexe pavlovien (c’est ouf d’ailleurs, c’est incontrôlable et systématique), là je n’ai dû essuyer qu’une petite rivière de larme au lieu du torrent habituel. Donc très bon moment aussi.

L’après-midi se passe tranquillement, passant de bar en bar, de rencontre amicale en rencontre amicale. Puis à 20h je vais voir Gardienne, dont on m’a vanté les qualités, soit directement (par Sylvain), soit par les affiches et le fait que ce soit complet presque systématiquement.

Gardienne

C’est un seul en scène où l’actrice nous raconte l’histoire des femmes de sa famille mais par le thème des enfants et de l’avortement. Elle incarne tour à tour des grands-mères, des mères, des sœurs, des jeunes puis finalement elle-même et chacune exprime à sa manière ses sentiments et ce qu’elle a dû faire pour éviter d’avoir des enfants dont elle aurait eu la charge exclusive. Peu d’homme sont dépeints positivement (autre époque, autres mœurs, ou pas..), et ce qui ressorts surtout c’est le courage de ces femmes à une époque où l’avortement c’était surtout risquer la mort, les infections, les stérilités et autres joyeusetés dont peu ont idée.

Et bien je dois dire que je n’ai pas aimé.

Le début est très long, le débit de parole est très lent, il y a peu d’humour (pas forcément facile cela dit) et la montée en émotion n’a juste pas du tout marché pour moi. Comme pour les autres spectacles « féministes » que j’ai pu voir, et étant né et ayant été élevé moi-même dans une famille de femmes depuis plusieurs générations, je savais déjà tout ça, on m’avait parlé de ces horreurs, j’étais familier et malheureusement impuissant.

J’ai été successivement les hommes qu’elle décrit, égoïste, charnel, peu investi. J’ai été ce bourreau et je ne pourrais jamais m’excuser plus que je ne l’ai déjà fait. L’histoire aurait dû me toucher, j’étais prêt pour ça. Et c’est peut-être pour ça que je n’ai pas accroché. Tant pis.

Je passe la soirée avec Lucile et quelques personnes de rencontre, très sympas. La place des Corps Saints est pleine de monde, des gens jouent de la musique tzigane, une femme danse dans les rues, les verres s’entrechoquent. On entend des rires, de la joie. Mon regard croise celui de celle qui m’a blessé en début de semaine, la lumière perd un instant de son éclat, je bois un coup, regarde ailleurs, ça va mieux mais je décide de partir rapidement. Comme d’habitude en fin de soirée, je croise Thomas Rio, partage mon histoire, ma journée, il me fait rire. Merci mec.

2h30 du mat’, je me couche, apaisé.

Avignon jour 7, déjà

Ça fait plusieurs jours déjà que je suis en collocation avec Lucile et ça se passe bien. Tous les jours elle me fait rire, saute, danse, chante, c’est un bonheur quotidien. J’ai l’impression de vivre avec ma fille, avec juste quelques années de plus mais le même délire. Après la colloc du début de vacances, ça me change. D’ailleurs, je me rends compte que parcourir Facebook me mets parfois des petits coups au cœur, des piqûres de rappel dont je ne veux pas me rappeler. Pourtant je suis à deux clics d’aller mieux, deux petits clics. Clic. Êtes-vous sûr ? Clic. C’est fait. C’est un pincement, mais je me sens déjà mieux. A l’autre maintenant. Clic. Oui je suis sûr. Clic. Soulagement.

En caleçon sur mon siège en plastique collant, je parcours le guide d’Avignon pour trouver un spectacle. La chaleur et le flemme m’interdise de sortir avant 12h. Sur une page au hasard, je tombe sur « La contrebasse » sur un texte de Suskind, l’auteur du Parfum qui m’avait mis une petite claque quand j’ai vu le film. J’avais aidé une amie à travailler sur une partie du texte et j’avais bien aimé. Quelques minutes après je me rends au théâtre, à l’extérieur des remparts.

La contrebasse

Sur un décor minimaliste mais sympathique, l’imposant comédien nous raconte sa relation particulière à la musique, à son instrument, énorme, qui prend de la place dans sa vie professionnelle, sa vie amoureuse aussi, toujours là, ne le quittant jamais. Il boit, enchaîne les bières pendant une heure et demi, perd de plus en plus pied avec la réalité. On comprend qu’il n’est pas à sa place, qu’il n’a pas forcément choisi, qu’il a agi à la suite d’une rébellion pathétique contre l’autorité parentale, qu’il n’est finalement qu’un ouvrier de la musique, détestant son outil, ses pairs, et ses héros, mais ne sachant rien faire d’autre. Un seul espoir, ténu, impossible, une jeune fille, inatteignable, hors de portée, désynchronisée. Va-t-il attirer son attention ? Comment ? Et surtout pourquoi ?

Bon, autant vous dire que malgré une ou deux longueurs, j’ai adoré le texte et l’interprétation de cet homme plus fatigué qu’alcoolisé, triste et flamboyant.

Et puis ça me fait réfléchir, je me projette. Après tout malgré mes tentatives artistiques, qu’est-ce que je suis au fond, à part un informaticien ? Qu’est-ce que j’ai vraiment tenté ? Est-ce que j’ai vraiment tout fait pour sortir de ma zone de confort ?

Je profite du fait que les pintes sont moins chères qu’ailleurs pour rester un peu avant le prochain spectacle. L’acteur est là, me regarde, me dit qu’il m’a vu dans le public, me demande mon avis. On parle une heure de la pièce, de son rapport au métier. Il me dit qu’un festival amateur au fort potentiel va prendre place en Avignon au mois d’Août. Ça lui fait plaisir de voir d’authentique passionnés. « Mais dans ce métier, ne sommes-nous pas tous passionnés ? ». Il me regarde un instant, sourit puis me dit : « Pour la plupart des professionnels, c’est un métier, juste un métier ».

Depuis le temps que je rencontre des comédiens, je me rends compte que la passion qui m’anime, l’envie absolue de ressentir et faire ressentir des émotions disparaît ou se réduit avec l’expérience, comme si le fait d’en vivre devait impérativement éteindre la flamme. J’ai eu le même retour dans le milieu du jeu vidéo, un rêve pour ceux qui n’y sont pas, un métier comme un autre, un désenchantement, pour ceux qui y sont.

En repartant je croise mon amie Émilie et décide d’aller voir Hot House que j’ai déjà vu plusieurs fois mais pas dans la forme actuelle.

Hot House

Dans une prison/hôpital psy éloigné, un directeur frappadingue, et le comité de direction tentent de faire face à la mort d’un patient, et à l’accouchement surprise d’une autre, violée par un membre du personnel dont on ne connaît pas l’identité. Comme à chaque fois j’ai bien aimé, probablement le public aussi vu la salle quasi pleine depuis le début du festival. Je dois avouer ne toujours pas comprendre complètement l’histoire mais c’est drôle, rythmé (sauf à une ou deux reprises), déjanté alors ça me va. Je regrette simplement le choix d’intention donné au personnage du Directeur que je trouve en colère en permanence et pour lequel je verrais plus de nuances, de folie, et de pathétisme.

Évidemment ce n’est en rien la faute d’Hugo, qui défend très bien le choix actuel, mais pour une prochaine version, je crois que c’est une direction à prendre.

Je croise plein de potes d’un coup, Alexandre, Hubert et d’autres. On boit des coups, on reparle de Florent, de Hugues, mon prof préféré de tous les temps, on refait ces quelques années de théâtre qui nous ont tous transformé, on compare nos expériences et nos envies.

Klotilde

A 19h30 je cours voir Klotilde, un seul en scène très drôle.

A un moment elle demande au public qui est venu à cause de l’affiche où elle se découvre pas mal, évidemment je lève la main, je ne suis pas seul, le public rit, elle me dit qu’elle ne se mettra pas à poil, que j’ai été eu, mais ce n’est pas grave, j’ai pas mal bu avant, je suis à 3 grammes, je m’en fous, elle est marrante. C’est du stand-up, elle parle de tout et de rien, je ne saurais même pas dire le thème. J’ai passé un moment agréable, pas ouf mais bien.

La fin est un peu rapide, elle ne parle pas trop au public, démonte son matériel en pensant à autre chose. Je me remémore la discussion avec l’acteur de la contrebasse sur la passion.

Le sourire de Lisa

À 21h20 je vais voir le Sourire de Lisa, un peu plus d’une heure de délire ininterrompu sur le développement personnel, l’accès à sa conscience, à Dieu ou au souffle ou à Leonard de Vinci de l’autoroute ou, ou, ou… C’est bourré de jeu de mot, de référence alakon, et d’explications foireuses dites avec le plus grand sérieux par un formidable acteur belge, forcément.

En sortant je fais la rencontre de la maman de ma colocataire. Elle s’appelle Laetitia. Je bloque sur son visage, qui me fait penser à ma mère. Un truc de dingue, une cousine sans doute. On parle beaucoup, on rigole beaucoup, j’ai l’impression que c’est un truc de famille. On parle boulot, elle organise des stages artistiques, je veux participer ! On décide de se revoir le lendemain, je suis content de ma soirée. Qu’est-ce qu’elle est belle. Sans le vouloir elle me renvoie à ma relation avec les femmes en général. Depuis le théâtre je sors souvent avec des filles plus jeunes que moi, parfois beaucoup plus jeunes comme celle du début d’Avignon, et je suis souvent déçu. Mais j’y retourne quand même, ayant la sensation diffuse qu’il faut que je sois « utile », une espèce de connerie de mentorat peut-être, que je n’ai pas de valeur si je n’apprends pas quelque chose aux autres, si je ne les aide pas. Evidemment, ça fonctionne assez peu. Et puis sans doute ai-je peur que la personne avec qui je suis se rende compte que je suis vide. C’est comme s’il fallait que je sois constamment en mouvement, que je ne peux être intéressant et aimable si je suis juste moi. En deux jours, je me rends compte que l’âge ne fait rien à l’affaire. Elle est magnifique, plus âgée que moi mais aussi jeune dans la tête, artiste, fantasque, tout ce que j’aime et que je retrouve rarement chez les gens de ma génération.

Avignon, Fin

Je suis rentré depuis quelques jours, la tête toujours pleine de soleil et de spectacles formidables.

Comédiens !

Comédiens ! a été ma claque d’Avignon. Une bande de comédiens ont trois heures pour se préparer à présenter une pièce dans un nouveau théâtre, mais ils n’ont que la moitié des décors et un acteur ne connait son texte.

C’est joué par trois acteurs/chanteurs (une demi-douzaine de moments musicaux) absolument dingues, c’est drôle à en pleurer puis la tragédie prend place et on continue à pleurer mais pas pour la même chose. C’est magnifiquement joué, sans temps morts. Standing ovation et tout et tout. Au moment de partir, un immense Viking se lève devant moi, tatoué de partout, barbes et cheveux longs, il se tourne, il y a les yeux mouillés de larmes et me dit : « ça va être dur de s’en remettre hein. »

Nos Pénis Divergent

Sur un ton plus léger, je suis allé voir Nos Pénis Divergent. Deux Pénis sont interviewés par un présentateur déjanté façon Ardisson. Le premier appartient plutôt à un geek et le second à un beau gosse, toujours fier et droit.

Bon, je suis arrivé avec une bonne pinte dans le nez, je suis allé au premier rang et j’ai commencé à tchatcher avec le deuxième rang, déjà hilare. Autant dire que quand le spectacle a commencé, le public était déjà chaud bouillant. C’est très drôle, pas très bien joué en général mais extrêmement généreux. Ça ne s’arrête pas un seul instant, enchainant vanne sur vanne, et souvent beaucoup plus fines que ce à quoi je m’attendais. Ça réussit l’exploit de ne pas être grossier, tout en étant parfois informatif.

Bref, très bien aussi.

Et Dieu créa la voix

Un one man avec beaucoup de chant. L’acteur explique comment s’est créé sa voix et sa passion pour le chant. Il raconte différentes étapes de sa vie, son enfance, ses parents, puis ses métiers avant d’en arriver devant nous, et comment sa voix s’est transformée pendant ce voyage.

C’est très drôle et les moments musicaux sont assez incroyables. Surtout quand on est à 1 mètre, comme je l’étais. C’est généreux.

Tel père telle fille

Enfin, Tel Père, Telle Fille, avec Lucile est une pièce drôle et émouvante où une fille entretient une relation fusionnelle avec son père et n’ose pas lui avouer sa grossesse. Il y a deux acteurs, plus un troisième au téléphone et pourtant très présent. J’ai évidemment été touché par cette histoire dont le nœud n’est pas un conflit, mais bien l’amour. C’est parce qu’ils s’aiment profondément, que cette incompréhension arrive.

Je me suis beaucoup amusé, mais je suis content d’être rentré.

Big up à toutes les formidables rencontres faites sur place, et aux surprises de la vie, bonnes ou mauvaises qui fait qu’on se sent vivant.

Carte blanche – 3ème année, 3ème module – On me dit que je suis fou

En troisième année de Florent, on écrit beaucoup de cartes blanches : des scènes, des moments qu’on a envie de montrer sur un thème particulier. Toutes ces cartes blanches ont principalement pour but d’être réutilisées, ou pas, ou des bouts, pour monter une création collective à présenter en fin de module (un module = 2-3 mois de travail avec un prof et un thème spécifique, ensuite on change).

Sur ce module, le thème est la folie, ou la folie d’un homme. Avec un thème aussi général, les idées peuvent venir rapidement. La texte suivant est une de ces cartes blanches, écrites pour l’occasion, mais que je ne ferai probablement pas tout de suite, il me semble encore un peu faible, j’y retournerai sans doute pour l’enrichir. Je le laisse là pour la postérité.


On, me dit t’es dur, t’es dur.
Je suis pas dur, je suis direct. Je dis les choses comme elles sont.
En prenant une voix de fausset
Faut être diplomate !
Je t’en foutrais de la diplomatie. T’as envie d’être diplomate quand un connard dans le métro reste assis sur son putain de siège alors que c’est bondé ? T’as envie d’être diplomate quand on te demande de réduire la durée de ta douche pour préserver la planète alors que les grosses sociétés polluent les océans ?

T’as envie d’être diplomate quand tu payes un putain de café trois balles avec un serveur qui tire la gueule, et une pinte de bière 12€ à république. De la pisse d’âne en plus, pas un de ces trucs de de bobos genre micro-brasseurs bios élevé au grain.

On me dit aussi, t’es intransigeant.
N’importe quoi, je suis pas intransigeant, j’aime pas qu’on se foute de ma gueule. C’est pas pareil. C’est pas être intransigeant que refuser de se laisser marcher sur les pieds. C’est pas intransigeant de ne pas apprécier les retards lors d’un rendez-vous avec des amis, c’est pas intransigeant de ne pas accepter qu’on nous parle mal, sous prétexte de… de.. je sais même pas pourquoi. La politesse, c’est la moindre des choses. Bonjour, Merci, au revoir, un sourire. C’est pas compliqué un sourire. c’est gratuit un putain de sourire. C’est pas être intransigeant que de vouloir le respect.

On me dit t’as tué des gens.
J’ai pas tué des gens. J’ai tué une personne. Ils ont dit : « Violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». N’importe quoi, bien sûr que je voulais le buter. Je voulais qu’il crève, lui faire bouffer son arrogance, son regard méprisant, ses choix débiles, prit juste pour asseoir son autorité. Quelle autorité ? T’es qui pour vouloir t’imposer. Libres et égaux en droit, tu connais ça ? Hein ? Tu connais hein ?

Cette phrase de trop, j’ai vu rouge. Et au lieu de me lâcher, il a continué, m’a acculé. Je suis devenu un animal. Un animal, ça fuit ou ça mord. Et moi je lui ai bouffé le visage.

Voix de fausset : Vous vous rendez pas compte, vous n’avez aucun remord ?
Je m’en veux pas. J’en ai rien à foutre qu’une pourriture disparaisse de la terre. Je lui ai fait du mal à lui mais combien j’en ai sauvé ? J’ai nettoyé la crasse.

Tu sais quoi ? Je crois que toi aussi tu t’en fous.

Allez, penses. Franchement. Ce qui t’empêche vraiment de buter quelqu’un c’est les conséquences, la loi, les flics, la prison. Mais c’est pas ton empathie, hein. C’est pas parce que voix de fausset c’est pas bien de tuer des gens. Toi aussi tu veux le crever le mec qui t’as fait une queue de poisson sur l’autoroute. Ta mère qui te gueulait dessus et qui puait de la gueule la vinasse qu’elle avait bue sur le palier pour pas que tu vois. Ton patron qui te fait chier tous les matins avec tes 5 minutes de retard alors que tu restes tous les soirs pour finir tes putains de dossiers, Dupont, Martin, Pichon, qui te refuse une augmentation pour la quatrième année consécutive alors que lui il vient de se prendre un +15 %, avec un beau bonus pour les projets de cette année. Les flics qui frappent les manifestants pacifiques ? Les mecs qui se font exploser dans une foule ? Même des gamins t’as envie de les crever avoue. Le petit con qui tire les cheveux de ta gamine et a qui ses gros cons de parents ne disent rien, voix de fausset pauvre chou, on va pas le traumatiser, c’est de son age, c’est un garçon, c’est comme ça les garçons.

Ta pute de copine qui se fait ramoner en soirée et qui fait mine d’avoir tout oublié, ton petit ami qui oublie ton anniversaire, ta date de rencontre, et même ton prénom quand vous baisez tristement après téléfoot, la grand-mère qui compte et recompte sa monnaie dans la file d’attente du magasin un samedi après-midi quand tes mômes te hurlent dessus pour des bonbons ou je sais pas quelle merde.
Tous, tu veux tous les buter.

Si on avait le pouvoir de tuer par la pensée une personne dans le monde, n’importe qui, sans conséquence, je peux te jurer que l’humanité entière disparaîtrait en moins de 5 secondes.

Tu dis plus rien. Tu crois que je suis fou ? Mais c’est pas moi le cinglé, c’est tous les autres. Être fou c’est ne pas savoir ce qu’on fait, c’est se faire des illusions, c’est croire que ça ira mieux demain. Être fou c’est être une victime, aveugle, sourde et muette, tu connais les trois singes ?
Mime les trois singes

Je suis pas fou.
Je suis lucide.
Alors je vais fermer ma gueule, je serai un prisonnier modèle, tout ce que vous voulez que je sois, je le serai.
Et quand je sortirai d’ici, je vous montrerai exactement ce que c’est d’être fou.

Carte blanche – Échéance deuxième module 2018

Notre professeur de troisième année, deuxième module, nous demande régulièrement d’écrire des cartes blanches, des scènes, seuls ou à plusieurs, sur un thème précis.

Pour une échéance surprise en présence de la professeure pédagogique nous avons dû écrire un poème ou une chanson normalement en français sur le thème de l’insurrection. Étonnamment on est pas vraiment obligé de respecter l’intégralité des contraintes, c’est là aussi qu’on voit le culot et l’inventivité des élèves. Le texte que j’ai joué a d’abord été écrit pour faire office de voix off sur un court métrage en début d’année mais je ne m’en suis pas servi. Finalement je l’ai réécrit pour cette échéance. La version ci-dessous est l’intégrale mais dans les faits, j’ai resserré et supprimé pas mal de texte pour n’en conserver que les moments les plus ‘secs’ et parlants.


Sept heures, tu te réveille, des frissons
Salive empoisonnée, envie de dégueuler, le crâne sous l’pilon
La mine grise, des murs gris, le ciel gris, comme un plafond
Impossible d’y voir clair, faut te faire une raison

Tous les jours, te lever, te laver, t’habiller, te préparer
Tous les jours, va chasser, cours, cours chercher à manger
Pour toi, pour moi, pour les autres, pour la société
Jamais tranquille, il faut marcher, bouger, transpirer

Dans le métro, pas de dialogue, pour personne
Têtes cassées, coups brisés, les yeux sur l’iPhone
À regarder des conneries, suivre l’actualité, centré sur ta pomme
Bouffer du fait divers, c’est l’appareil qui t’espionne

Les infos en continu, l’industrie de la peur
Terrorisme, explosion, meurtre en couleur
Ne pas penser, ne pas rêver, te retrouver en sueur
Les yeux pleins de sang, de boue et d’horreur

Lire, affligé, des mots hystériques sur du papier numérique
Pas un instant de répit de nos monstres électroniques
Pouce en l’air, +1, j’aime et like médiatique
La justice par le clic, c’est facile d’être héroïque

Toute la journée tu te pètes le dos à bosser
T’es crevé avant même d’avoir commencé
Pour des n+1, petits chefs, petite autorité
Il te faut des soins, mais tu peux pas t’arrêter

Les yeux cramés par les néons et l’ordinateur,
Pas le choix, faut partir et arriver à l’heure
Ça te tourne dans le crâne, vertige de 9 à 18h
Ça gueule, ça hurle, tu sais plus quoi faire.

Et pendant ce temps là, y’en a qui se gave
Qui bouffent sur ton dos, avec ton travail pérave
Au McDo ou dans les grands bureaux, t’es qu’un esclave
Payé comme une merde, un mec comme toi c’est un must-have

Et ça te rend dingue, la folie te guette,
Tu veux t’acheter un fusil, faire exploser des têtes
Corps à corps brutal, égorger toutes ces bêtes
Un truc fatal, la mort comme une fête

Tu t’imagines en semeuse avec un lance-flamme
A brûler tous ces crétins qui n’ont pas d’âme
Créer un enfer, les faire souffrir, ça a du charme
Te venger dans les rues, blam blam

Un truc zinzin, qui te prend aux tripes,
Un truc pas malin, qui frappe comme un coup
de trique
Un truc de bourrin, exposé en public
Un truc qui te fera du bien, à la télé comme en Amérique

Mais tu le feras jamais, il te manque un truc
T’as pas le snap, les tripes, t’es un trouduc
Des crédits à payer, et la violence en vrai ça te rebute
De lâcheté en regard détournés, en vrai t’es une pute

Alors tu fais comme tout le monde, tu baisses ton froc et tu montres
ton fion
Tu bois des coups et tu rentres à la maison
T’abrutir d’alcool et de télé c’est ta religion
Reviens sur terre, rebelle en carton

Le cul dans ton canapé, t’attends leur retour
Tu vas pas déraper, aujourd’hui c’est le bon jour
Dans la porte t’entends la clé, et derrière y’a de l’amour
Ils sont bientôt rentré, t’es plus seul dans ta tour

Ils sont là, il rentrent, c’est le moment
Ils te sautent dans les bras, ils ont quitté maman
Plus rien n’est important juste le présent
T’as oublié ta rage, ce bonheur c’est suffisant

Je t’aime papa, tu sais ?
Moi aussi je t’aime, tu m’as manqué
Papa, qu’est-ce que tu faisais ?
Rien ma chérie, je rêvais

Cours Florent – Première échéance part2

Désolé de reprendre l’écriture de ces articles aussi tard, j’ai récemment eu pas mal de changement dans ma vie personnelle autant que dans ma vie professionnelle, et je n’ai pas pu continuer cette série. Je reprends maintenant, en espérant pouvoir au moins écrire les articles de toute la première année et les diffuser dans les prochains jours.


En ce début d’année, les cours sont principalement axés sur les exercices et les « jeux ». Ils nous permettent de comprendre de manière ludique un certain nombre de notions fondamentales comme l’adresse (comme lorsqu’on s’adresse à quelqu’un), la manipulation de l’énergie (un truc un peu indistinct au début mais qu’on ressent de plus en plus au fur et à mesure de l’apprentissage, comment on arrive avec une certaine énergie sur scène, comme on la reçoit et comment on la renvoie vers ses partenaires, comment on remonte une energie qui se dissipe et comment éviter de la perdre), mais aussi la respiration, la concentration, la tenue et des tas d’autres choses dont je ne soupçonnais même pas l’existence.

Parallèlement à ces exos, on travaille chacun une scène en plus. Etant arrivé avec un mois de retard, je n’ai eu que très peu de temps pour me préparer. Pour cette échéance, l’ensemble des élèves devait travailler un assemblage tiré de la pièce « Elvire Jouvet 40« . Cette pièce montre une série de cours de Théatre de Louis Jouvet où il apprend à une jeune comédienne comment jouer le personnage d’Elvire dans Dom Juan. Une pièce sur un cours de Théâtre, j’aime bien l’aspect meta.

On commençait plutôt simplement, chacun devait jouer soit Jouvet, soit Claudia (l’actrice jouant Elvire) et dire quelques phrases avant de laisser la place à quelqu’un d’autre.

« Ok, maintenant tu fais de la boxe. Fais de la bose je te dis, là tu ne fais pas de la boxe, tu fais semblant. Bon maintenant tu fais ton texte, allez ! »

J’ai eu un mal de chien à apprendre ces quelques lignes. Entre mon propre texte qui ne voulait pas rentrer et les quelques lignes de Jouvet que je n’arrivais à fixer, ajouté au stress d’un premier examen, je n’en menais pas large.

Mon professeur nous donnait des astuces, que j’utilise encore aujourd’hui. L’une d’entre consiste à être dans un état de difficulté physique. Aussi bien pour l’apprentissage que pour le délivrer sur scène. Je l’explique ainsi : nous avons une sorte de résistance mentale, une pudeur, qui nous empêche d’être serein, tranquille, libre. La difficulté physique permet d’abaisser cette barrière en focalisant l’attention ailleurs que sur la délivrance du texte. Par exemple, faire de la boxe m’obligeait à me concentrer sur mes mouvements, et dire le texte venait plus naturellement. De la même manière l’apprentissage est plus facile (pour moi) si je pratique une activité physique en même temps, un jogging par exemple, ou me mettre en chaise contre un mur. Sans doute une histoire d’oxygénation du cerveau.

Quelques jours après est venue l’échéance, un peu brutalement, et avec sans doute beaucoup trop peu de préparation en ce qui me concerne.

Le Jouvet est pour moi un échec cuisant, je me trompe dans mon texte alors qu’il est si court, et même avec l’autorisation du professeur de me munir de mon texte à la main, cela reste bringuebalant.

Le texte personnel est lui un poil mieux, très envoyé, très crié surtout, je suis resté dans le personnage, ce qui est déjà ça. C’est bien mais pas top. Un début.

C’est en voyant les autres que je m’aperçois d’où je pars. De loin, de très loin. Certains ont déjà plusieurs années de théatre amateur derrière eux, d’autres ont l’air plus à l’aise et même si tous le monde flippe un peu, ça se passe bien.

« Le théâtre n’est pas un endroit où régler ses problèmes, ce n’est pas le salon d’un psy »

C’est aussi à ce moment que je commence à parler avec les gens, à en apprécier certains, à rester indifférent à d’autres. Et puis les textes de chacun aussi. Il y a des chansons, des trucs barrés comme des expériences d’usage de drogue ou un texte enlevé sur la sexualité dit par une fille qui ne donne absolument pas l’air d’y toucher, mais aussi un gars qui vient de parler des difficultés sociales qu’il a pu ressentir à cause de sa main atrophié (étant moi-même touché par un problème à la main, je n’ai pu qu’être touché par ce texte), et bien d’autres choses. C’est marrant de voir comme à chaque fois qu’on laisse la possibilité à un acteur de jouer un texte choisi par lui, on tombe à chaque fois sur des trucs très perso, on a envie de s’exprimer, de dire ce qu’on est, ce qu’on ressent, ce qui nous travaille et nous empêche parfois d’avancer. Pas tous le temps non, mais souvent. Un truc de psy, et quoi qu’en dise mon prof, même si on est pas chez le psy, le théâtre permet de s’exprimer de manière très personnelle sans être jugé, on peut finalement être soi-même alors qu’on est quelqu’un d’autre sur scène.

Carte blanche – troisième échéance 2017

Pour la prochaine échéance, comme qui dirait le prochain examen de théâtre, nous avons carte blanche. On fait ce qu’on veut, en terme de mise en scène, d’écriture ou de jeu. On peut faire des chansons, de la danse, du non-verbal, n’importe quoi qui nous fait plaisir en 5 minutes maximum. On ne le travaille pas directement avec le prof, pour lui aussi c’est une surprise. C’est donc à nous de travailler ensemble, de se donner mutuellement des conseils, de mettre en scène ou de se faire mettre en scène. Un travail collectif qui permet aussi de créer des groupes, de la cohésion et d’apprendre à mieux nous connaitre entre nous. 

Après avoir hésité à présenter un sketch, dont je n’arrivais pas à trouver le personnage alors que c’est ma propre écriture, un comble tout de même, j’ai finalement décidé de montrer quelque chose de plus personnel, moins léger et sans doute plus nécessaire.

Le texte suivant est né de la fusion de plusieurs prises de notes, tout au long de cette année, des choses à dire, jamais dites et pourtant si importantes. 

Je n’ai pas de titre définitif, pour l’instant ça s’appelle « Elle(s) »


Idée de mise en scène

Assis seul devant une petite table, un peu avachi, un sourire goguenard sur le visage, il attend. Rien pendant un long moment. Le sourrie s’efface lentement. 

Ça fait une heure et demi que je regarde mon téléphone en attendant un message de ta part. J’attends, je t’attends, un signe, un espoir, une suite. La communication est coupée, suspendue, à tes doigts, à ta volonté. Je me pose des questions. Tu joues avec moi, avec mon cerveau, qui part en roue libre. Où est-ce que tu es ? Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi tu me fais mal ?

Je t’aime putain, je t’aime. Je t’aime, je te le crie, je te l’écris, je te le dis, je te le redis, je te le raconte, et tu m’abandonne. Cet écran vide me blesse, m’abaisse, me rabaisse, m’empêche. J’ai peur. J’ai peur que tu ne sois plus là, que tu sois ailleurs (avec quelqu’un d’autre ?), à faire autre chose. Réponds-moi. Merde. Qu’est-ce que je t’ai fait ? Pourquoi tu me fais ça ? Qu’est-ce que je suis pour toi ?

Une femme apparait, de dos, on ne voit pas son visage. Elle regarde le protagoniste, les mains jointes devant elle, sans bouger.

Tu me laisses en galère au bord de la falaise. Tu me tenais la main et tu m’as lâché. Dans un instant je vais tomber, je vais basculer, je pars en chute libre, une chute longue, interminable, douloureuse. Mortelle.

Je t’en supplie, fais sonner ce téléphone. Je veux une vibration, une notification, une lumière qui clignote. Est-ce que j’ai du réseau ? La lumière baisse légèrement. Si ça se trouve j’ai pas de réseau ! Si ça se trouve, j’ai plus de réseau ! Je suis déconnecté, coupé du monde, je suis tout seul, comme ça, d’un coup. J’ai beau crier, j’ai beau tomber il n’y a personne, il n’y a plus personne. Je tape à la fenêtre, on ne m’entend pas, la vie continue, sans moi.

Si ça se trouve c’est toi qui n’a pas de réseau. Ou alors plus de batterie. Mais oui c’est ça ! Tu n’as plus de batterie ! L’électricité s’est dissipée et tu cherches désespérément à la retrouver, tu cherches une prise. Tu cherches partout, tu supplie pour quelques volts et ampères, tu mendie du jus.

En imitant une femme qui cherche. La silhouette féminine fait les mêmes mouvements.

« S’il vous plait je peux me brancher quelques minutes ? C’est pour répondre à mon copain, il attend une réponse, il a demandé quelque chose d’important, il a dit qu’il m’aimait, il a demandé si je l’aimais mais »

Mais-mais-mais quoi ? Quoi mais ? Il y’a toujours des mais, un tas de mais, des petits mais, des gros mais, des mais à moi et des mais à toi. Des mais à toi. Sans doute autant que moi. On n’est pas aligné. On n’est pas aligné parce qu’on peut pas être aligné, trop de mais. Qu’est-ce que les gens diraient ?

Un temps

Tu sais pourquoi je fais ça ? Non ? Tu sais pas ? Parce que t’es pas celle que je pensais. T’es pas la déesse de feu que pensais, celle que je mettais sur un piédestal, celle que j’admirais, celle que j’aimais mais que je ne voulais pas toucher sous peine de perdre le sacré, celle que je ne voulais pas salir, celle que je respectais. Ben non, t’es pas tout ça. Mais c’est pas de ta faute on m’a dit, c’est l’âge on m’a dit, c’est normal on m’a dit. Voilà. Normal. En fait, t’es normale. Et c’est la pire chose qui puisse arriver.
Alors maintenant laisse-moi tranquille, laisse-moi tout seul, j’ai perdu quelqu’un que j’aimais, elle est partie, et j’ai besoin d’être seul.

La femme part

J’ai mal. J’ai cette boule au ventre qui ne veut pas disparaître, qui appuie sur mes tripes, ce poids sur la poitrine qui bouge comme si un tas de tentacules me fouillait lentement de intérieur, ça me remue comme la marée remue la vase faisant remonter des remugles nauséabonds. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai dit ? C’est cette fille ? C’est ça ? C’est elle ? Mais c’est une amie ! Juste une amie. Tu peux pas me reprocher d’être ami avec elle. Tu n’as pas le droit. Tu ne sais pas. Pas de contexte. Tu ne peux pas comprendre. Et c’est pas grave, de ne pas comprendre. Fais-moi confiance. Fais-moi confiance comme moi je te fais confiance. La confiance c’est ça qui est important. Moi je te fais confiance. Je te fais confiance avec ma vie. Avec mes sentiments. Avec mon amour. Je t’ai rien caché, je t’ai tout dit. De ma vie d’avant, de mes rencontres. Je me suis ouvert, je t’ai montré la construction, l’empilement, le squelette de mon âme. Y’a pas de protection, pas de peau, pas de chair, pas de muscles pas de graisse pour me protéger. D’un geste, d’un simple geste tu peux me tuer, tu peux éteindre ma flamme, tu peux me détruire. Ou m’aimer . C’est toi qui décide.

Ding

Le protagoniste se précipite sur le téléphone, regarde le message, reste impassible.

Noir

Sketch – Vous dites ça parce que je suis Noir

Un petit sketch écrit il y a quelques temps comme ça, inspiré d’un article du Gorafi pour le thème, et des diablogues de Raoul Roland Dubillard pour la forme, et que je compte jouer pour une prochaine échéance.


UN : Vous dites ça parce que je suis Noir.

DEUX : Quoi ? Mais vous n’êtes pas Noir.

UN : Comment ça je suis pas Noir ?

DEUX : Ben non, vous n’êtes pas Noir.

UN : Ben si je suis Noir. C’est comme ça, je peux rien y faire, c’est mon truc, je suis Noir.

DEUX : Mais comment vous pouvez dire ça ? On voit bien que… enfin.. vous voyez quoi !

UN : Non je vois pas. Ah oui, d’accord ! Là non évidemment. Bien sûr, ça ne se voit pas immédiatement. Mais d’habitude oui, je suis Noir.

DEUX : Mouais, c’est pas clair votre histoire.

UN : Ben non. C’est même plutôt obscur.

DEUX : Quand même. On dirait pas. Ça m’étonne un peu.

UN : Ça vous étonne ?

DEUX : Oui

UN : Que je sois Noir ?

DEUX : Ben oui !

UN : Vous dites ça parce que vous êtes jaloux.

DEUX : Quoi quoi quoi ? Jaloux de quoi ? Allons, je m’en fiche bien de la couleur des gens. Vous pourriez bien être Blanc, Jaune, Noir ou même Vert tiens, que je m’en ficherai tout aussi bien.

UN : Vert ? C’est pas banal.

DEUX : Je vais vous dire, j’ai même connu un pied-noir qu’était peau-rouge. Alors ça !

UN : Ah bon ? Du coup, il était de quelle couleur ?

DEUX : Blanc. Un albinos c’était. Très sympa comme type. Le cœur sur la main.

UN : Un type généreux !

DEUX : Non, pas particulièrement. On l’a retrouvé un jour comme ça, allongé par terre, avec son cœur sur sa main. C’était pas joli à voir ! Ça a fait un foin, je vous dis pas.

UN : C’est trop tard.

DEUX : Quoi ?

UN : Vous me l’avez dit.

(Un temps)

DEUX : Et vous faites quoi dans la vie ?

UN : Moi ? Je suis acteur, comédien, amuseur, pitre et tutti quanti.

DEUX : Et tutti quanti ?

UN : Et tutti quanti !

DEUX : Tutti quanti, c’est pas un métier facile.

UN : Ah ça non, ça ne l’est pas. Il faut beaucoup travailler. Le jour, la nuit et même les week-ends.

DEUX : Et vous êtes célèbre ?

UN : Très ! Très célèbre ! Mais on ne me voit pas souvent.

DEUX : Vous êtes célèbre mais on ne vous voit pas ?

UN : C’est que voyez-vous, il n’y a pas de boulot tout le temps alors moi, je suis sur une niche.

DEUX : Vous avez des chiens ?

UN : J’ai un créneau, un truc à moi. Une spécialité disons.

DEUX : Une spécialité de niche ?

UN : En quelque sorte.

DEUX : Et c’est quoi votre niche à vous ?

UN : Moi je suis l’ami des gens.

DEUX : Vous êtes l’ami des gens ?

UN : Oui enfin pas de tout le monde bien sûr. On m’appelle pour certains cas spéciaux. Je travaille pour des gens célèbres. Pour des humoristes, ou des politiciens des fois ! Beaucoup de gens font appel à moi. Des particuliers aussi.

DEUX : Des particuliers ? Vous allez chez n’importe qui et vous devenez leur ami ?

UN : Pas n’importe qui. Vous savez bien, quand quelqu’un fait une blague douteuse, et que son public s’offusque. C’est là que j’interviens.

DEUX : Comment ça ?

UN : Et bien je suis l’ami Noir ! Vous savez bien, les gens disent toujours qu’ils ont un ami Noir. Et bien cet ami Noir, c’est moi.

DEUX : Mais ! Mais ! Mais c’est dingue ! Comment pouvez-vous être l’ami Noir de tout le monde ! Comme s’il n’y en avait qu’un en plus !

UN : De quoi ?

DEUX : Mais de Noir !

(Un temps)

UN : Vous dites ça parce que vous êtes raciste.

DEUX : Je ne suis pas raciste ! En plus, j’ai plein d’amis Noirs !

UN : Ah vous voyez ! Ce sont des acteurs aussi ?

DEUX : Je ne crois pas. Enfin, je ne vois pas le rapport.

UN : Parce que si ce sont des acteurs, ça veut dire que je ne suis pas tout seul sur cette niche alors.

DEUX : Faut que ça soit solide.

UN : C’est embêtant tout de même. Tous ces Noirs sur le créneau des Noirs. Un peu déloyal je dirais même.

DEUX : Faut vous diversifier.

UN : En plus, je n’ai même pas d’ami Noir.

DEUX : Faire autre chose.

UN : Je devrais me diversifier. Tiens, je vais faire Juif. C’est bien ça Juif non ? Comme ça je pourrais être l’ami Juif des gens. Ou l’ami Noir et Juif des gens. C’est pas mal ça.

DEUX : Mais j’y pense, si vous voulez ramener du monde sur votre niche, homosexuel, vous y avez pensé ?

UN : C’est un peu personnel comme question dites donc. Bon, je dirais que ça m’a bien effleuré, un moment, comme tout le monde, à l’adolescence je …

DEUX : Mais non, je parlais pour votre truc là.

UN : Ah. Et ben tenez pourquoi pas, comme ça je gagne sur tous les tableaux. On peut m’appeler partout. Je peux même cumuler si je veux. Je peux être l’ami Noir, Juif et homosexuel des gens qui font des blagues douteuses. Je vais en gagner de l’argent !

DEUX : Gagner de l’argent ? Parce que vous serez l’ami Juif des gens qui font des blagues douteuses ? Et vous ? Vous ne trouvez pas ça douteux ?

UN : Oh, pour ça, ça va. J’ai un ami Juif !

 

Cours Florent – Première échéance part1

cours-florent-inscription-2015« Hmmm, j’ai bien une classe mais le plus vieux a 29 ans, ça vous gêne ? »

Quelques jours après le stage d’accès je me retrouve au secrétariat pour me trouver une classe. L’assistante me regarde, prend un air embêté et m’annonce ce que je sais déjà, je suis plus vieux que tout le monde, et pas qu’un peu. Mais c’est pas grave, je lui dit en rigolant que c’est plutôt eux qui allait être gênés, ahah. Hem.

Elle rigole, un peu, en validant mes horaires de cours : Lundi, Mardi et Jeudi de 19h30 à 20h30.
Pour les gens qui ont fait le stage d’accès comme moi, le premier cours est début Octobre, un mois après la rentrée officielle. On est trois à débarquer un peu à l’improviste, une fille super sympa un peu fofolle, un gars qui était avec moi en stage d’accès (ma bouée de sauvetage) et moi.

Le premier contact avec les autres est un peu difficile au départ, après tout ils ont eu un mois pour se trouver, pour créer des liens. Je repère les regards intéressés, ceux qui s’en foutent (la plupart) et ceux qui m’aiment pas d’entrée de jeu. Ça parait bizarre dit comme çà, mais j’ai le sens de l’observation pour ces choses-là et suffisamment de psychologie pour piger rapidement les rapports sociaux. Je ne sais pas s’il s’agit d’une prophétie auto-réalisatrice, ou d’une incapacité à changer d’avis après une première impression, mais je me trompe rarement.
Tant pis, je ferai avec que je me dis, mais je mens, je veux plaire à tout le monde, et je commence déjà à me mettre en mode séduction.

Le prof est plus jeune que moi, je le tutoie d’entrée de jeu, par habitude. Il n’émet pas d’objection et nous présente rapidement au reste du groupe avant de nous expliquer ce qu’on va faire.
Le cours est divisé en deux parties de durées inégales et aléatoires. D’abord des exercices, puis le travail sur des scènes en cours.

Les exercices sont similaires à ce que nous avions déjà fait en stage d’accès mais on en ajoute d’autres, notamment des exercices de relaxation.
L’un d’entre consiste à s’allonger sur le sol, les yeux fermés et à laisser son esprit parcourir son corps. On commence par exemple par une main, on imagine suivre son contour, tourner autour du poignet, remonter le long du bras, puis de l’épaule, le cou, la tête, puis l’autre bras, le torse, le bassin, les jambes, très lentement, en laissant tous les tracas et les interrogations de la journée disparaître, pour être le plus présent possible, le plus près possible de soi, et ne penser qu’à l’instant.
Ne penser qu’à l’instant présent, la chose la plus difficile que je puisse faire à ce moment. Mon esprit errant constamment entre dix mille choses sans importance, incapable de se concentrer plus d’une fraction de seconde. Mais je fais des efforts, j’apprends, je me détends, un peu.

Un autre exercice consiste à travailler l’adresse, comme lorsqu’on s’adresse à quelqu’un. Lorsqu’on parle normalement à quelqu’un, cette personne sait souvent qu’on s’adresse à elle. Soit parce qu’on lui parle en face, mais ça fonctionne aussi lorsqu’on est de dos par exemple. Dans cet exercice, on se met par deux puis l’un des partenaires ferme les yeux et marche dans l’espace sans savoir où il va, uniquement guidé par la voix de l’autre partenaire. Comme tout le groupe le fait en même temps, le volume sonore commence à monter et rapidement plus personne ne s’entend. C’est là que ça devient vraiment intéressant, parce que le professeur nous demande à tous de baisser la voix, de murmurer, ou de chuchoter. Charge à celui qui est guidé de faire le tri dans sa tête entre les différentes voix pour marcher sans percuter ses voisins.
Et le plus fort c’est que ça marche très bien, c’est très impressionnant de se rendre compte qu’un murmure au milieu d’un brouhaha peut parfaitement être entendu si la cible se concentre suffisamment. On peut aussi y ajouter une difficulté, en demandant à celui qui guide de se déplacer aussi. Et malgré cela la cible comprend les ordres et se laisse guider.

Après les exercices, on travaille des scènes.
L’année est divisée en échéance, des examens où nous devons passer, seuls ou en groupe, devant notre professeur mais aussi un autre professeur ou même un directeur, pour juger du travail accompli. Pour cette première échéance nous travaillons sur une pièce appelée Elvire Jouvet 40, un cours de théâtre que Louis Jouvet donna en 1940 à un groupe de comédien devant jouer Dom Juan. Il s’adresse à la comédienne qui doit jouer Elvire et la conseille. D’un véritable cours au départ, il a été produit une pièce. Du théâtre sur du théâtre en sorte.
Y’à un côté méta qui me plaît bien.

« T’es mort pour moi ! »

Nous devons aussi choisir une scène moteur, ou scène source, quelque chose qui nous représente, qui parle un peu de nous, un truc personnel.
Je repense aux quelques mois qui précèdent, à mon état d’esprit du moment, à ma frustration et je décide de ressortir un texte que j’avais écrit dans le métro, en rentrant chez moi après un soir de beuverie chez des amis, un truc de rageux, sale, misogyne, probablement un truc d’ado mal dans sa peau mais aussi un cri du cœur qui passerait bien sur scène.
J’en parle un peu autour de moi, trop violent, personnage malsain. J’entends les remarques et décide de le réécrire pour l’alléger, ajouter un contrepoint au discours original. Ça passe mieux mais c’est pas encore tout à fait çà. Mais je m’en fous, c’est mon texte et le changer encore serait trahir encore plus l’intention initiale, alors je prends cette mouture et je la lis devant la classe, le cœur battant, et la flippe dans les tripes.

Conseil d’ami

Cours Florent – Stage d’accès part2

Travail de scèneTrès rapidement après les premiers exercices, la prof nous distribue des rôles. Pas vraiment au pif pour le coup, elle a utilisé ces premiers contacts pour nous donner quelques choses qui nous correspond, ou dans lequel elle aimerait nous voir. On va jouer du Pommerat, un auteur contemporain à l’écriture un peu particulière mais pas trop décalée pour qu’on ne se sente pas trop perdu. Je me retrouve évidemment avec Noah et une fille aussi sympa qu’énergique mais un peu énervée car, selon elle, son rôle est moins important que les nôtres. Moins de lignes de texte, moins d’émotions peut-être, alors que pour moi, elle a justement un rôle plus subtil, plus fin et sans doute moins premier degré que le mien ou celui de Noah.

« De toute façon, tu m’écoutes jamais ! »

Je ne me souviens pas avoir appris un texte par cœur depuis au moins l’école primaire. J’ai toujours détesté ça pour des raisons à la con probablement. Ce qui est marrant c’est que je me souviens des règles de quasiment tous les jeux de rôle que j’ai lu, une question d’intérêt sans doute. C’est peut-être aussi pour ça que je me rappelle jamais de ce qu’on me dit…

Mais là c’est différent, je joue mon entrée dans la classe sur ce texte. Dix paragraphes qui me paraissent insurmontables. Chaque ligne est une épreuve mentale, je ne sais même pas comment faire. Je lis, je relis, je le chante, je m’enregistre, je me l’écoute tout le temps, dans le métro, dans la rue, pendant les cours, pendant la nuit. Quelle nuit ? Je dors presque pas, couché à minuit, relevé à 3h du mat’, la tronche en biais, les phrases qui défilent dans mon crâne, devant mes yeux. Je suis un zombie shooté à la coke, j’ai les yeux rouges et une volonté de fer.

Noah a deux scènes, et passe son temps dans sa bagnole à bosser presque tout seul. Ma partenaire me file quelques techniques et me fait répéter les enchaînements, elle m’aide énormément, me calme et me donne confiance en moi. Elle est grande gueule mais enjouée et vraiment intéressée. Ce qui est le cas de la majorité des autres élèves. Ça me change des formations ou les gens s’en foutent, des branleurs a qui on paye des cours, mais qui le prenne comme des vacances avant de retrouver leurs vies de merde. Ici ça bosse.

« Hey, je peux prendre une photo avec toi ? »

A l’occasion d’une pause, mon partenaire se fait interpeller en pleine rue par un gamin qui a eu l’air de rencontrer sa star favorite du moment. Il se trouve que le gars fait des vidéos sur le net, des trucs marrants, un peu communautaire black, je suis évidemment passé à côté. Il a des dizaines de milliers de gens qui le suivent, il joue des dans clips, connait de gros rappeurs, la classe un peu. Moi ça me fait marrer, je côtoie une star du net. D’autres élèves ont fait des trucs, untel une pub pour macDo, l’autre des années de théâtre amateur et veut passer pro, un troisième est déjà réalisateur et acteur pour une pub de dentifrice, y’a quelques expériences déjà. Moi j’ai bossé à la tv et je suis passé sur FunTv alors que je réparais un ordi sous une table pendant un direct, ça compte ?

Les cours sont toujours intéressant mais il faut se concentrer un peu plus. En fait, chaque scène est travaillée une par une devant la prof, les autres élèves étant sensé regarder et apprendre des autres avant de passer eux-mêmes. Dans les faits, la plupart ont préférés utiliser ce temps pour apprendre leurs propres textes ou utiliser leur portable. L’examen final (appelé échéance) se déroulant très tôt, la prof nous autorise finalement à travailler de notre côté, ce que nous faisons sans relâche jusqu’au dernier jour.

Lors de mes passages, je suis en transe, littéralement. Je me plonge à fond dans mon personnage de père au foyer, blessé par la vie, en rupture avec son fils qu’il aime mais avec qui il ne s’entend pas, humilié car il veut subvenir aux besoins de sa famille en homme et pas en assisté, et obligé de travailler avec une assistante sociale, dernier lien avec sa famille et son fils qui le bat. Une situation difficile, un cas social comme il peut en arriver tant. Je suis tellement dedans, et tellement sur les nerfs, que j’ai parfois du mal à sortir du personnage, à deux reprises il m’a fallu plusieurs minutes pour récupérer de cette tension.

Je vois la prof comme une sculpteuse, elle prend des gens qui font n’importe quoi et par gros mouvements ou petites touches, elle ajuste, elle pousse, elle cadre, elle nous apprend. Je vois chaque groupe qui évolue, qui prend de plus en plus conscience que la fin de la semaine approche, qu’il va falloir donner le meilleur. Y’a moins de blagues, moins de sourires, les visages sont crispés.

« Ah ouais c’est tendu quand même ! »

La première fois que je présente ma scène, elle reste quelques secondes bouche bée et me sort cette phrase qui restera gravée. Je ne sais pas si c’était bon, si c’était juste, si c’était intéressant, mais au moins c’était tendu, ce qui était exactement mon intention, et celle de mes partenaires. Je le prends comme un compliment. La première fois depuis longtemps où j’ai pas l’impression d’être une merde. C’est bon, ça fait du bien.

Le dernier jour arrive, et avec lui notre échéance. On passe devant la prof et le directeur de l’école. C’est pas rien.

Tout le monde donne tout ce qu’il a. Je vois des transformations incroyables, des larmes, des rires, de l’énergie. Parfois des textes oubliés, une fille qui pète un plomb à cause de la tension, putain la pression qu’on se met.

Puis le calme et le discours du directeur qui m’a touché et rassuré. Un truc du genre : « Je suis content de voir des gens d’horizons, d’âge et de parcours différents. Être acteur c’est avoir une personnalité, et la montrer. Sur scène on a besoin de voir des gens qui apportent ce qu’ils sont et surtout qu’on évite les clones. »

Ouais, y’a besoin de tout le monde.

Quelques jours après, je recevais un mail me félicitant de mon travail et m’autorisant à poursuivre ma formation à Florent.