Ecriture

Transmission

Encore un bout de texte retrouvé il y a peu. Celui-ci m’est venu un matin, après un rêve dont je ne me souvenais pas, juste des sensations et des images. Dans la fatigue du réveil, les mots sont venus me demander gentiment mais fermement de sortir de mon crâne pour aller s’écraser dans un « nouveau document Word.docx ». Voilà le résultat, à peine corrigé, sans doute plein d’erreur, mais bon voilà.


Un homme court à perdre haleine dans une ruelle d’une mégalopole crasseuse. Au loin on entend de l’agitation, le bruit de la foule, des klaxons et des sirènes de police. Pour le moment, seul le claquement des chaussures de l’homme sur le pavé résonne dans la ruelle déserte.

« Il est là, je le vois ! » crie un autre homme en débouchant d’une allée. Dans sa main brille une arme. Un coup de feu claque, puis un autre. Le fuyard trébuche, se redresse en rattrapant une brique saillant d’un mur puis repart en claudiquant. De l’ombre sort un troisième homme qui s’approche de l’emplacement précédemment occupé par le fuyard. « Tu l’as touché. Avec ce qu’il perd comme sang, ce fumier n’en a plus pour longtemps. »

Les yeux emplis de larme par la douleur, la main droite fermement appuyée sur la blessure sanglante de sa cuisse, l’homme débouche sur un boulevard bruyant empli des flâneurs d’un samedi soir ordinaire. Le bruit des voitures est assourdissant, les voix des conversations lui parviennent amplifiée, comme si des centaines de gens lui hurlaient en pleine tête leurs vies insignifiantes, leurs listes de courses, leurs peines de cœurs ou leurs disputes minables. Il lui faut se concentrer et trouver sa cible. Rapidement.

L’homme blessé a trouvé ce qu’il cherchait. Ce n’est pas idéal mais c’est mieux que rien. La blessure à sa jambe le fait souffrir mais il s’efforce de l’oublier pour le moment. Dans un instant cela n’aura plus aucun intérêt. Alors qu’il se dirige vers sa cible, son champ de vision se rétrécit. Utilisant l’index de sa main gauche, et tout en courant, il dessine avec son sang dans sa main droite, une sorte de figure stylisée en forme de cercle puis se jette sur un homme à qui une femme vient de donner un seau de pop-corn géant.

L’affiche immense du cinéma montre une hache en relief au-dessus du titre du dernier film d’horreur à la mode. Chris est venu avec sa copine Marge dans l’espoir de se rapprocher d’elle. Cela fait plusieurs semaines qu’il est « sur le coup » et qu’il tente d’aller plus loin. Il est parvenu à lui faire accepter de voir ce film en tête-à-tête avec lui, ça veut dire quelque chose non ? Pendant qu’il pense à ça, il avance tranquillement dans la file en attendant Marge partie chercher du pop-corn. Autour de lui, des tas de jeunes plaisantent et jouent à se faire peur, criant dans le dos des uns des autres, faisant semblant de se battre à coups de hache ou s’étranglant, pour de faux bien sûr. Avec tout ce raffut et cette ambiance Chris n’a pas entendu les gens hurler sur le boulevard. Alors il est particulièrement surpris quand un homme au visage crispé se jette sur lui dans l’intention manifeste de lui faire du mal.

« Mais, qu’est-ce qu’il s’est passé ? » demande Chris en ouvrant les yeux.
Il est allongé sur une sorte de lit en plein air et des gens sont en train de courir partout. Il a manifestement quitté sans s’en rendre compte la file d’attente du cinéma. Marge le regarde avec un air apeuré. Autour de lui, il y a des machines qui font des bips et des gens qui manipulent des tubes et des seringues. Il est dans une ambulance ?

« Tout va bien ? » demande l’un d’eux.
« Heu oui, oui ça va. ».
D’un coup apparait dans son bras une brulure lancinante qui le fait grimacer.
« Ne vous inquiétez pas monsieur, nous allons vous donner un sédatif. L’homme qui vous a agressé vous a tordu le bras, il a laissé une belle marque en tout cas ».
Effectivement, les traces d’une main sont encore visibles près du coude. L’homme a du serrer de toutes ses forces.
« J’ai été agressé ? Merde, mais pourquoi ? Il est où le type ? Les flics l’ont choppé ? » demande Chris en essayant de se relever.
« Restez tranquille, monsieur. » répond un autre homme, « je ne sais pas trop qui ils pourraient avoir attrapé, le type s’est écroulé mort juste après s’être battu avec vous. Sans doute un putain de drogué. Y’a que ça en ce moment. Allez, on y va, vous êtes avec lui mademoiselle ? ».
Marge fait un signe de la tête puis, à l’invite de l’infirmier, monte dans la voiture et claque la porte.

« Agents Malone et Goett, services fédéraux » annonce un homme chauve en costume sombre et la mine patibulaire au policier en tenue en train de délimiter la zone à l’aide d’un ruban jaune.
« Déjà ? Mais qu’est-ce que vous foutez là les gars ? Y’a pas eu de meurtre ni rien, c’est juste une agression. » réplique le policier d’un air soupçonneux.
« On vous a pas demandé votre avis mon gars, on est là et maintenant vous faites avec. Bougez votre cul avant qu’on en réfère à votre supérieur » dit tranquillement le deuxième homme, un blond à l’air pincé, plus mince et plus grand que le premier. Le policier regarde à droite et à gauche puis s’écarte en maugréant. Le chauve se penche sur le cadavre allongé face contre terre tout en enfilant une paire de gants en plastique bleu. Il l’examine, soulevant la veste déchirée, tâtant la poitrine, puis les jambes, puis remonte vers les bras. « Putain l’enfoiré. » murmure-t-il en retournant la main droite du corps. Le blond sort de sa veste un paquet de Dunhill dont il éjecte négligemment une cigarette qu’il allume à l’aide d’un briquet doré. Il prend une longue bouffée puis la recrache en faisant des ronds de fumée d’un air pensif.
« Il va falloir tout recommencer ».

Poème des archipels

ArchipelsJe viens de retrouver un poème que j’avais écrit pour les Archipels, un extraordinaire cadre de campagne, il y a fort longtemps. Il devait servir à lancer une aventure mais je n’ai finalement jamais pu le placer. Pour éviter qu’il se perde, je le mets ici, pour la postérité.


Mes amis, laissez-moi vous conter
Une aventure à coté de laquelle vous ne passerez,
Une histoire de druide fantastique et exaltante
Aubergiste, coupe-moi donc une autre tranche.

Il existait autrefois très très loin,
Une île nommé Essence, c’est pratiquement certain.
Loin des hommes et de leurs actions,
Une compagnie de druide en prit possession.

Pourchassés par d’anciens amis,
Craignant pour leur vie et leur magie,
Ils partirent loin de leurs lieux maudits,
Mais ça, je crois l’avoir déjà dit.

Ils partirent de chez eux,
le regard fier et conquérant,
Emmenant en ces nouveaux lieux
Leurs femmes et surtout leurs enfants.

Les druides restèrent longtemps sur Essence,
Sans qu’aucun ne remarquent leur absence.
Ils auraient pu y couler des jours heureux
Il s’en est vraiment fallu de peu.

Un jour, un jeune druide nouvellement formé
Noraine le fol qu’il s’appelait,
Eut une révélation, une vision, une vérité.
A vrai dire, son nom était bien porté.

Surgissant au conseil des anciens,
Il enjoignit ses maîtres, les yeux plein de chagrin
A réfléchir, être moins serein,
Car les attendait bientôt un funeste destin.

Cette fois là, personne ne le cru.
Il faut dire qu’il vivait à la rue
Souvent dans ses pensées
Il passait son temps à inventer

Toujours il faisait des prédictions
Plus ou moins fatales selon la saison
Parfois, il se perdait, regardant l’horizon
Les gens pensait qu’il perdait la raison

Alors il partit dans la forêt.
Promettant de disparaitre à jamais.
S’enfuit en solitaire, en ermite.
Il faut vraiment aimer les poux et les tiques.

Bien, il est temps pour moi de faire une pause.
Cela fait des heures que je glose.
Aubergiste ! Je meurs de soif on dirait !
Allons! Sers moi donc un godet.

Mais voilà que même sans raconter, je rime
Déformation professionnelle, j’en suis victime.
Pour mon gosier, merci patron.
Retournons donc à notre baston.

Plusieurs semaines plus tard,
En pleine nuit, il faisait noir.
Un capitaine et ses éclaireurs rapportèrent
L’arrivée prochaine de sombres vaisseaux de guerre.

Les maitres n’en crurent pas leurs oreilles.
Ainsi, le fol n’était plus pareil ?
Son augure, pour une fois était juste,
Les maitres avaient vraiment été injustes.

Maintenant ils étaient découverts.
Comment s’en sortir ? Comment faire ?
Les maitres empâtés, encroutés
Ne discutaient plus avec leurs alliés.

C’est alors que Noraine revint,
Dans la forêt, il avait suivit son instinct.
C’est beaucoup plus tard qu’il raconta
Ce qu’il s’est réellement passé ce soir là

Alors qu’en rage, de sombres pensées le submergeait,
Au bord d’un lac tranquille il s’arrêtait
Il pleura, il cria :
« Mais pourquoi personne ne me croit ? »

En réponse, du plus profond des bois,
Il entendit une douce voix
« Moi, je te crois mon élu »
Et Sharilin, habillée de peu, apparu.

Noraine incrédule, écarquilla les yeux.
Et fut pris d’un doute affreux.
Devant lui se tenait une déesse,
Quasiment prête à montrer ses fesses.

Etait-il vraiment fou ?
Dit-il en grattant ses poux.
Moi qui n’entendait que des voix,
Je tombe à chaque fois un peu plus bas.

Sharilin, agacée
Parla fort, pour se faire respecter
« Oho, j’existe! Je suis là »
« Mais là, quoi ! Devant toi ! »

Noraine, se rassit et écouta
Tandis que la déesse parla.
« Tu es mon élu et je vais t’aider
A surmonter les épreuves par les miens, placées. »

« Va au nord et tu trouveras,
Sous le vieux tertre, tu prieras,
Et si de la patience tu as,
Les arbres alliés tu verras. »

« Demande leur le sacrifice
Et, ils te donnerons, sans artifice,
Qui une branche, qui un tronc
Pour défendre l’île, ils t’aideront »

Les semaines qui passèrent, c’est sûr
Virent Noraine travailler dur
Sans relâche, il négocia
et de majestueux navire il fabriqua

Lorsqu’il revint il était presque trop tard
La bataille avaient déjà commencé
Ses frères et ses compagnons se faisaient déjà tuer
Ils erraient dans les décombres, hagards.

Les vieux maitres alors reconnurent,
Que leur salut viendrait de la nature.
Heureux de voir arriver les renforts
Ils se battirent encore plus fort

Faisant appel aux puissances de la terre
Lançant des trombes d’eau de mer
Remplissant les cieux d’éclairs
Chez leur ennemi, ils portèrent la guerre.

Une fois l’adversaire vaincu
Les druides s’excusèrent de n’avoir cru
Noraine, raisonnable devenu,
Vexé par ces mots, au loin s’en fût.

Aujourd’hui personne ne sait,
Ce que les druides sont advenus
Ni de leur vaisseaux de bois vivants faits,
Ni s’ils sont revenus.

L’épilogue et la morale de cette histoire
Nous apprennent qu’il est parfois trop tard
Que même avec l’aide des dieux
L’avenir n’est pas toujours radieux.

Les mémoires d’un estudiant botanica Vol.1 – #3

7 – Enquête

Je me levais à la lumière d’un matin blafard. Comme à son habitude mon maitre était levé et avait commencé son entrainement dans la cour. Le rituel se répétait tous les jours, inlassablement. J’enfilais ma tunique de laine, refermais la boucle de ma ceinture et lassait mes sandales tout en observant mon maitre qui venait de s’arrêter pour effectuer quelques mouvements de gymnastique sur des rondins de bois. Je le voyais monter et descendre en utilisant juste la force de ses bras. A un moment, il se mit debout, torse nu, les mains et le visage rouges de froid et se mit à soulever des bûches. La sueur coulait le long de son échine et de la vapeur se dégageait de sa peau couturée de cicatrices.

La voix éraillée de Karla Wagner, la cuisinière, résonna dans les couloirs et m’arracha à cette vision. C’était l’heure de déjeuner.

A défaut d’être de grande qualité, le petit déjeuner était copieux, avec de grandes tranches de pain moelleux sur lesquelles étaient posées de gouteux morceaux de lards surmontés d’une paire d’œufs légèrement grillés. Après nous être restaurés nous nous rendîmes à l’infirmerie. Celle-ci avait été créée en élargissant un ancien passage attenant au temple de Sigmar du château de Grunewald. Sœur Sonja y officiait. C’était une moniale de Sigmar, une guerrière. Elle portait sur ses poignets les insignes de l’empereur-dieu, le marteau à gauche et la comète à deux queues sur le droit. Une longue cicatrice lui barrait le visage juste sous les yeux. Cette blessure l’avait rendue définitivement aveugle et, ne pouvant plus se battre, elle avait pris la décision d’employer ses talents et sa foi à aider les malheureux.

Il y avait là une demi-douzaine de personnes allongées sur des lits de fortune, certains emmitouflés pour combattre le froid qui les tenaillait, d’autres au contraire presque nus pour enrayer la progression de la fièvre. J’étais troublé par leur état général, leur fatigue et leur difficulté à combattre ce qui ressemblait fort à une infection. Je soulevais le cataplasme que l’un d’entre eux tenait serré sur son flanc pour y découvrir la blessure. L’apparence de celle-ci était horrible. L’estafilade que le pauvre homme s’était infligée en voulant changer une des planches de sa clôture s’était infectée au point de recouvrir son côté d’une longue boursouflure allant de l’aine à l’aisselle. Un filet de sang noirâtre courait tout le long. Les chairs nécrosées, d’une couleur oscillant entre le vert et le rose, en délimitait les bords ouverts. Pour autant que je puisse en juger, l’odeur qui s’en dégageait évoquait celle d’un cadavre en putréfaction.

Je reposais en hâte le bandage et reculait d’un pas en me bouchant le nez avec le creux de mon coude.

De quoi pouvait-il donc s’agir ? A l’évidence, ce n’était pas une simple infection. Le docteur Sieger avait bien veillé à nettoyer les plaies comme il le fallait et faisait changer les emplâtres régulièrement. Parcourant les étagères, je tentais d’en reconnaitre les plantes entreposées dans de petits bocaux de verre. Quelques-unes ne me rappelaient aucun souvenir mais la plupart étaient connues pour leurs capacités médicinales éprouvées. Les victimes, celles qui pouvaient encore parler, n’avaient pas d’indication à nous fournir. Aucune n’avait la même activité. Certaines étaient malades même sans avoir été blessées. Enfin, aucune trace de morsure ou de piqûre n’était visible, excluant la possibilité d’un empoisonnement par un animal ou une plante.

Ensuite nous interrogeâmes les habitants encore valides. Sans plus de succès. La plupart se renfrognaient et prétextaient du travail pour nous éviter.

Après cette infructueuse journée nous décidâmes d’enquêter dans le château. En premier lieu, j’allai à la bibliothèque. Elle était fort bien garnie pour une place fortifiée comme celle-ci. Sous le regard attentif du bibliothécaire, je parcourus les rayonnages chargés de livres. Il y avait peu de poussière et ces derniers étaient bien entretenus. J’en ouvris quelques-uns : Traité d’histoire sigmarite, une sorte d’encyclopédie de la vie de l’empereur-dieu, Tactiques impériales, les Guerres aux cours des âges, deux essais particulièrement complexes sur la tactique et la stratégie militaire, Monarchie kislévite, une tentative un peu désespérée de suivre les lignées malgré les nombreuses circonvolutions généalogique que 1000 ans de combat contre le Chaos avait engendrés, 1001 recettes savoureuses d’Estalie et d’ailleurs, un grimoire illustré que je m’empressais d’empocher discrètement pour compulser plus tard au calme et surtout un petit livre à la couverture pourpre dont le titre m’intrigua particulièrement : Une proposition inquiétante. Je profitais de la distraction offerte par le père Akney tentant de discuter philosophie sigmarite avec Otto pour mettre rapidement l’ouvrage dans mon sac. Prendre un livre n’est pas vraiment du vol. Plutôt un partage de connaissance non soumis à approbation réciproque. De plus, une fois les connaissances acquises, je remets presque toujours les livres en place. Presque. A Nuln, c’est même une discipline reconnue. Il faut savoir que les documentalistes-bibliothécaires de l’université ont décidé de ne plus tenir de registre de retard après avoir constaté que la somme des amendes que devraient rendre les estudiants (et certains professeurs) dépassait de presque cinq fois le budget annuel de l’université.

Le soir arrivait et le diner allait être servi dans quelques minutes. J’en profitais pour aller discuter avec la cuisinière. J’avais passé une partie de mon adolescence à expérimenter toute sorte de produits et ingrédients, et la préparation de mets fins faisait assurément partie de mes compétences. Mme Wagner, un petit bout de femme à la mâchoire prognathe et aux cheveux en bataille, régnait sur ses mirlitons. Son domaine était ses casseroles et ses fourneaux. Malheur à celui qui venait empiéter sur son territoire. J’en fis l’amère constatation lorsqu’après un rapide et froid échange de banalité, elle préféra me jeter dehors sans autre forme de procès.

Après ma mésaventure je flânais ici ou là, laissant trainer mes oreilles et mes yeux en attendant le repas, lorsque je vis sur le sol un morceau de papier plié en deux. Sans doute une note oubliée par le seigneur Aschaffenberg. Il était écrit : « pour le poulet, c’est bon ». Je retournai plusieurs fois la note manuscrite, tentant de voir s’il ne manquait pas quelque chose, mais je ne trouvais rien d’autre. Quelques minutes plus tard j’en informai Camillia et le père Akney, qui semblait déjà tout chamboulé, puis alla m’assoir à la table. Un repas pantagruélique nous attendait. L’entrée était une mousse de canard marinée à l’huile de noix du Reikland saupoudrée de baies brunes hachées finement. Un délice pour le palais et un soulagement de l’âme. On nous proposa deux plats particulièrement copieux. Le poulet en rotissade, fourré à la châtaigne et couvert de son jus était absolument fabuleux. Le papier disait vrai. Repus, je ne pus suivre la fin du repas, et me mis à somnoler tranquillement sur mon siège. Mes compagnons prirent le deuxième plat, un poisson énorme préparé en grilladine, mais rapidement, me voyant fermer l’œil, ils décidèrent de m’emmener dans ma chambre.

Tandis que mon maitre me soulevait par un bras, je sentis le frottement agréable de mon visage sur son épaule, d’une solidité de brique et me laissait aller à une douce torpeur. Je jetais un œil derrière moi et m’aperçus que d’autres était affalés sur la table, dormant dans leur bras, ou carrément dans leur assiettes. A cet instant j’aurais dû me douter de quelque chose. Depuis le début nous avions été trop bien accueillis. Personne ne nous demandait où en était notre enquête. Et cette fatigue était bien trop soudaine pour être honnête. Malgré l’avertissement du mot trouvé par terre, je venais de tomber dans un piège.

Quelques minutes plus tard, je sombrais dans le sommeil.

8 – Une nuit difficile

Mes oreilles bourdonnaient. J’entendais qu’on m’appelait mais je ne savais pas d’où cela pouvait provenir. Mes paupières étaient lourdes. Autour de moi les sons me parvenaient étouffés, comme si mes oreilles étaient bouchées. Puis d’un coup, tout devint clair.

  • Réveilles-toi bordel de saloperie me criait mon maitre. Bouge ton fessier petit, ou tu vas y passer pour sûr !
  • Maman, laisse-moi tranquille, je ne veux pas y aller, murmurai-je, encore endormi.

Mais le père Akney me secouait et me secouait encore, tant et si bien que je m’écroulai au bas de mon lit. Je me levai comme je pouvais. Le monde tanguait autour de moi. La nausée habituelle, signe d’une gueule de bois carabinée, commençait à poindre.

  • Elles sont là bordel ! hurla-t-il en me collant violemment le visage contre la fenêtre.

Alors, dans la nuit baignée d’une lumière lunaire, je les vis. Les monstres que nous avions combattus la veille étaient revenus. Mais ils n’étaient pas une poignée. Cette fois, nous avions à faire à une horde entière. Des dizaines de ces créatures déferlaient par les portes entrouvertes du château. Les cadavres des gardes avaient été projetés contre les murs. Déjà le combat commençait dans la cour.

Mon maitre me mit mon épée dans les mains tout en me poussant dans les escaliers.

  • Vite, nous devons les repousser.

Avais-je vu la même chose que lui ? Alors que nous arrivions sur le perron menant dans la cour, nous fûmes rejoints par le seigneur Aschaffenberg. Il était armé d’une lourde épée à deux mains et avait revêtu un plastron de cuirasse. Quelques gardes étaient présents, le visage décomposé par la peur. Soudain, ce qui restait de la porte d’entrée vola en éclat. Dans les retombées d’échardes et de poussière apparut le plus gigantesque monstre qu’il m’ait été donné de voir. Il était haut comme deux hommes. Le bas de son corps ressemblait à celui d’un humain mais son torse et sa tête était ceux d’un énorme taureau. Son crâne portait deux immenses cornes spiralées luisantes. Il observa la scène un instant puis émit un grognement sourd avant de courir dans notre direction.

Les brumes de mon esprit se dissipèrent instantanément. Voyant que le groupe d’hommes-bêtes passait près des écuries, j’eus une idée. Sans plus réfléchir, je courus dans la direction du bâtiment. J’atteins rapidement la porte et m’y engouffrai. A l’intérieur, les chevaux piaffaient. Leurs yeux roulaient dans leurs orbites. Leurs naseaux écumaient de peur. Ils tiraient sur leur corde sans parvenir à les rompre, ce qui m’aurait arrangé. Mon idée était simple mais complètement folle. Je voulais les libérer et les diriger sur les hommes-bêtes pour provoquer une confusion que nous aurions pu mettre à profit pour les battre. Je n’avais pas pensé que les chevaux pouvaient tout aussi bien se retourner contre nous ! Malheureusement je n’eus pas le temps de réaliser mes projets. Du coin de l’œil, j’aperçus le chef de la meute. Il avait changé de direction et avait décidé de s’occuper personnellement de mon cas. Pris de terreur, je décidais d’aller me cacher sur une plate-forme en hauteur, au-dessus des chevaux. Je grimpais précipitamment l’échelle puis me jetai derrière des caisses au moment où la porte de la grange s’effondrait sous les assauts du monstre. Je me recroquevillai en serrant les dents, tentant de respirer le moins fort possible. Les chevaux faisaient un boucan de tous les diables. Je pensais que leur odeur allait me sauver mais la créature était plus intelligente que cela. N’entendant plus rien, je risquai un coup d’œil hors de ma cachette. Le monstre me tournait le dos et fouillait la paille. Soudain, il poussa un grognement de triomphe et attrapa quelque chose au sol. Horrifié, je vis qu’il s’agissait des deux palefreniers qui avaient essayé de se cacher ! J’entendis les os craquer, je vis le sang couler comme une fontaine tandis que le monstre les fracassait contre les murs comme des poupées de chiffons. Je me retournai dans ma cachette et vis quelque chose briller dans le noir. J’avançai ma main et attrapai un long tube de métal évasé. Je venais de trouver le tromblon du cocher. Et il était chargé.

Retenant mon souffle, je visais soigneusement le dos de la créature qui dévorait les malheureux, puis appuyai sur la détente. La violence du choc me projeta en arrière. La charge de clous frappa le monstre de plein fouet, entaillant sa chair, rougissant la paille de son sang. La créature hurla de douleur puis se retourna vers moi, folle de rage. A l’évidence, cela n’avait pas suffi ! D’un bond, elle attrapa le bord de la plate-forme et commença à se hisser. Son visage et ses poings énormes n’étaient qu’à quelques centimètres de moi. Je pouvais sentir son haleine de souffre. Cherchant une échappatoire mes yeux se posèrent sur une ouverture menant sur le toit. L’énorme main me rata de peu alors que je sautai au travers de la fenêtre. J’eu à peine le temps de reprendre mon équilibre que je vis la tête du monstre juste derrière moi. Ses épaules trop larges ne passaient pas mais il s’y employait quand même à toute force. Chacun de ses coups de boutoir faisait vaciller toute la grange. A plusieurs reprises je tentai de le frapper avec mon épée mais les tuiles glissantes rendaient mes coups imprécis. Voyant qu’il ne pouvait pas m’atteindre, le monstre préféra ressortir de la grange. Après avoir vérifié qu’il était bien parti, je redescendis sur la plate-forme puis rechargeai le tromblon. Dehors, les hommes criaient de plus belle. Après tout ce temps, le seigneur était encore debout ! Empli d’espoir, je fonçai les rejoindre. La plupart des hommes-bêtes avait été tués. Les gardes du seigneur gisaient sur le sol. Le seigneur combattait avec fougue les derniers monstres. Mon attention fut attirée par le chef des hommes-bêtes. Il était debout devant le père Akney inconscient. La jambe du monstre était levée au-dessus de la tête de mon maitre, prête à l’achever. Mon sang ne fit qu’un tour. Instantanément, je levais mon arme et tirait sur l’énorme créature. Le temps sembla se ralentir. Les plombs volèrent vers leur cible. Ils s’enfoncèrent profondément dans la peau du monstre, mordirent les chairs, éclatèrent les os. Son crâne énorme eut l’air d’exploser et répandit son contenu sur le sol. Lentement, comme suspendu par des fils invisibles, le corps de l’homme-bête tomba à genou puis s’effondra. Reprenant mes esprits je courus voir mon maitre. Son corps avait l’air brisé en plusieurs endroits. Sa respiration était sifflante. Le sang coulait de son visage tuméfié. Il était gravement blessé mais il vivait encore.

Autour de moi, les combats s’arrêtaient. Leur chef mort, les créatures préférèrent fuir. Le seigneur mit à profit ce répit pour compter les survivants. Le capitaine Blucher avait survécu presque sans une égratignure. Olver, le maitre des chiens, était lui aussi de la partie. Son bras gauche pendait lamentablement à son côté et un de ses yeux était fermé, mais il souriait. Sur la place, le père Akney reprenait conscience.

  • Ce n’est pas fini, dit Camillia d’une voix sombre. Il y a quelques minutes, j’ai surpris quelques-uns de vos hommes en plein rituel, dans la cave. Les hommes-bêtes n’étaient qu’une diversion.

Comme pour appuyer ses paroles, une lumière verdâtre éclaira la cour du château. La lune du Chaos venait d’apparaitre dans toute sa splendeur.

9 – A la poursuite du mal

Mon maitre se releva, les yeux rougis par la rage. D’une main, il se tenait le flanc, de l’autre sa hache. Mu par son incroyable volonté, il se dirigea en vacillant vers la porte menant à l’intérieur du château.

  • Le passage est dans la chambre du majordome, dit Camillia rapidement. Y’a cinq personnes en robes de cérémonie. Sont devant un bouquin et un tapis avec un gros œil jaune qui veut sortir tout seul.
  • L’œil du Chaos, grogna le père Akney. Il veut nous rejoindre.
  • Comment ça ? demandai-je, la voix tremblante.
  • Il y a certaines choses qui devraient rester à leur place, petit. Mais ça, le Chaos il comprend pas bien. Alors il se sert des gens pour venir chez nous. Il leur promet du pouvoir. Il leur met des idées dans la tête. De drôles d’idées.
  • Des idées ?
  • Et ces idées tu vois, elles peuvent tout te chambouler la tête. Après tu sais plus bien qu’est-ce qu’est bien et qu’est-ce qu’est pas bien, tu vois ?
  • Mais les idées, ce ne sont que des idées ! m’exclamais-je.
  • Les idées c’est ce qu’il y a de pire. Elles détruisent des empires bien plus surement qu’une armée. En attendant, je crois bien qu’on va se taper une autre bataille.

Nous arrivâmes près de la chambre du majordome. L’armoire du fond avait été déplacée et une volée de marches descendait dans le noir depuis l’ouverture qui se trouvait dans le mur.

Le seigneur Aschaffenberg ouvrit la marche suivi du capitaine et du père Akney encore vacillant. Quelques instants plus tard, nous pénétrâmes dans une grande cave voutée. Quelques braseros finissaient de bruler aux coins d’un signe étrange peint en rouge sur le sol. Une étoile à huit branches. Il n’y avait personne. Le tapis et le livre que Camillia avait décrits n’étaient pas là. Au fond de la pièce se trouvait une autre ouverture que nous empruntâmes rapidement. Un nouvel escalier de pierre montait le long des murs du château jusqu’à un palier étroit et une grosse porte. Fou de rage, le seigneur l’ouvrit d’un coup de pied et découvrit qu’elle menait directement sur le toit du château.

A une douzaines de mètres de nous se tenait une congrégation hétéroclite. Il y avait le bon docteur Sieger, Karla Wagner la cuisinière, et deux autres personnes que je ne reconnus pas. Ils étaient habillés de longues robes de cérémonie pourpres aux coutures d’or. Derrière eux se tenait le majordome. Il portait un grand livre ouvert et psalmodiait des incantations inintelligibles. Le tapis avait été posé sur le sol et semblait bouger de lui-même. L’œil qui y avait été brodé grandissait démesurément, s’étirant d’une manière obscène. Morslieb était pleine et éclairait la scène d’une lumière spectrale.

  • Eh bien vous voilà enfin, fit le majordome en refermant le livre avant de le jeter comme un papier gras. Malheureusement vous arrivez trop tard. Le rituel est terminé. Dans quelques instants vous pourrez contempler la splendeur de mon maitre.

Le père Akney et le seigneur Aschaffenberg ne lui laissèrent pas le loisir de continuer son monologue. Ils foncèrent dans le tas, l’arme au poing. Camilla décocha un carreau d’arbalète sur un des cultistes qui s’effondra, les mains crispées sur la poitrine. Je vis le capitaine de la garde et le maitre-chien me dépasser à leur tour pour aller ferrailler. Le toit devint très rapidement confus. La bataille faisait rage, chacun tentant de déséquilibrer son adversaire pour le faire tomber du bord. L’un des cultistes en fit les frais et s’écrasa quelques dizaines de mètres plus bas dans un bruis d’os brisés. Mon maitre combattait avec l’énergie du désespoir, balançant son arme dans tous les sens, avec conviction mais peu d’efficacité. Le seigneur Aschaffenberg faisait des moulinets, embrochant ses anciens subalternes sans hésitation. Pendant ce temps, je cherchai une solution au véritable problème. Sous la lumière de la lune, l’œil du Chaos prenait forme humaine. De longs appendices tentaculaires sortaient sporadiquement du monticule de chair apparaissant sur le tapis. Je voyais l’air vibrer. Au travers des univers, par-delà les dimensions, des silhouettes se frayaient un passage vers notre monde. Puis vint l’illumination. Le rituel était peut-être terminé mais le passage n’était pas encore ouvert. Je levais la tête et regardait Camillia. D’un regard nous comprîmes ce que nous devions faire. C’était le moment ou jamais. Nous nous jetâmes simultanément sur le tapis pour en attraper chacun un coin. Il était bien plus lourd qu’il n’y paraissait. Des dizaines d’images abominables jaillissaient dans ma tête, des rafales de visions cauchemardesques m’assaillaient tandis que je me concentrais sur ce que je devais faire. Le visage de mon grand-père m’apparut. Je ne pouvais pas le décevoir. Je devais y arriver. Les larmes aux yeux, je tirais sur le tapis-portail à m’en décrocher les bras. Camillia et moi finîmes par le retourner, empêchant l’œil du Chaos de recevoir la lumière de Morslieb.

10 – Extinction

Assis sur le toit, mon regard se perdait dans les montagnes qui se découpaient au loin. Derrière moi résonnaient les râles d’agonie des cultistes abattus. Je passai ma pipe à Camillia qui en tira une bouffée avant de souffler un long jet de fumée bleutée.

  • Vous croyez que c’est terminé ? demandais-je, le regard fixé sur l’horizon.
  • On vient de gagner une bataille, me répondit-elle fatiguée. C’est tout. Il faudra s’en contenter. Viens, il faut nettoyer maintenant.

Les cadavres des cultistes s’entassaient sur le toit. Un nuage passait devant Morslieb dont la lumière avait finalement disparue. Adossé contre un muret, le père Akney se reposait. Le seigneur Aschaffenberg était accroupi près du majordome, mais le chef des cultistes était déjà mort. Il fallait que je sache ce qui s’était passé, comment un groupe de gens à priori sans histoires avait pu tenter de commettre une telle folie. Quelles abjectes pensées avaient pu leur traverser l’esprit.

Je m’approchais du livre que le majordome avait jeté à terre et l’ouvrit à une page au hasard. Il y avait des lignes d’une écriture en pattes de mouche dans une langue que je ne comprenais pas et des dessins de créatures inconnues apparaissaient un peu partout. Les marges étaient griffonnées d’annotations incompréhensibles écrites d’une main fébrile. Soudain mon livre tomba au sol. Le regard du père Akney était un mélange de rage et de pitié.

  • Lâche ce livre petit, rugit-il. Tu ne sais pas ce que tu fais, tu n’as rien retenu de ce que je t’ai dit.
  • Mais.. bredouillais-je. Nous devons savoir ! Ce n’est qu’un livre, un simple livre ! Les livres ne peuvent nous faire du mal !
  • Tais-toi ! Tu ne sais pas de quoi tu parles. Il hurlait, comme possédé. Sa bouche écumait. J’ai vu les dégâts que peuvent faire les livres ! Tu crois que tu es le premier à imaginer pouvoir comprendre ? A penser que le Chaos peut se domestiquer, qu’on peut lui donner des ordres ?

Je ne savais que répondre. J’étais terrifié. Je savais que j’avais raison mais la folie dans ses yeux me fit taire. Il continuait de hurler sous les regards étonnés des hommes du château.

  • Non, pas cette fois. Je ne referai pas la même erreur avec toi.
  • Je vous en supplie maitre, fis-je d’une voix blanche. Le marteau de Sigmar est puissant mais il est inutile s’il ne sait pas où frapper. Les livres ne sont que des outils, des armes que l’on peut utiliser dans notre combat.
  • Cela suffit, jeune prétentieux ! J’ai pris ma décision !

Son visage n’était qu’à quelques centimètres du mien. Je pouvais voir ses dents brisées et ses yeux injectés de sang. Une main se posa sur son épaule.

  • Père Akney, vous avez raison, murmura Camillia. Nous allons brûler ce livre comme il se doit. Le Chaos ne doit pas nous infecter.

Joignant le geste à la parole, Camillia prit le livre en l’enserrant dans un vêtement, comme s’il s’était agi d’un plat qui sortait du four, et le jeta dans le brasier qui avait été constitué pour les cadavres et dans lequel brulait déjà le tapis maudit.

Ce jour-là, quelque chose s’était brisé en moi. Je compris que nous étions fondamentalement différents. Que la folie s’était emparée de l’esprit de mon maitre et que son jugement était devenu flou. Il fallait que je reste à son côté. Je devais l’aider comme il m’avait aidé. Sans le savoir, nous venions de faire un pacte. Il sauverait mon corps, je sauverais son âme.

Quelques jours plus tard, nous reprîmes la route en compagnie du cocher du seigneur Aschaffenberg.

Camillia comptait l’or que nous avions reçu en récompense. Mon maitre se reposait dans la carriole, grognant et balbutiant dans un demi-sommeil agité, le corps couvert de bandages. Je repensais à notre affaire. Des employés corrompus, cherchant toujours plus de pouvoir dans l’occultisme et l’étude de l’ancienne magie, volant l’énergie vitale de ceux qui les entourait et leur faisait confiance, tout ça pour quoi ? Le retour de dieux très anciens ? Une parcelle d‘énergie divine ? J’avais du mal à imaginer comment on pouvait si facilement échanger son âme.

Chassant ces mauvaises pensées, je me saisis du petit livre qui se trouvait dans ma sacoche. Et tout en jetant des regards furtifs vers le père Akney, je me mis à lire les premières pages d’Une proposition inquiétante.

Fin

Les mémoires d’un estudiant botanica Vol.1 – #2

4 – Un travail de tout repos

MaisonLa chaleur nous enveloppa instantanément alors que se referma derrière nous la lourde porte de bois. La pièce principale était éclairée de multiples lampes fixées au mur. Un grand escalier de bois montait d’un coin de la pièce vers les étages et finissait sur un palier barré d’une longue rambarde. Des sièges avaient été disposés derrière cette rampe pour permettre aux clients des étages d’apprécier les spectacles prenant place sur une petite scène près de l’immense âtre. Un énorme cochon rôtissait doucement à la chaleur d’un feu crépitant, projetant de petites flammèches chaque fois qu’une goutte de graisse tombait en grésillant. Une odeur suave s’en dégageait, provoquant de douloureuse contractions dans nos ventres affamés.

Quelques minutes plus tard, la serveuse apparut. Elle était grande. De ses vêtements sans doute trop serrés jaillissait une anatomie avantageuse, comme si ses formes plantureuses ne demandaient qu’à s’exprimer. Elle portait un tablier blanc sur une robe jaune poussin. Ses nattes brunes volaient derrière elle alors qu’elle virevoltait entre les tables pleines de clients. Une maitresse femme, assurément pensais-je avant d’être sévèrement rabroué par le père Akney qui trouvait que je m’attardais un peu trop.

Elle nous trouva rapidement de la place et nous apporta de quoi boire, une bière à la mousse épaisse et grasse et un plat de ragout de porc ainsi qu’une grosse miche de pain frais. Malgré la simplicité de la nourriture, nous mangeâmes de bon cœur. C’est enfin rassasiés que nous prîmes le temps de lever le nez de nos assiettes. Sur le mur le plus proche de la porte d’entrée était appuyé un grand tableau de bois sur lequel étaient clouées des annonces. L’une d’elle attira mon attention. Un homme cherchait à recruter des enquêteurs pour se renseigner sur un fait mystérieux : des soldats tombaient malades et restaient ainsi quel que soit les traitements qu’on pouvait leur administrer. Pensant mettre mes compétences dans les plantes médicinales à profit, en les exagérant un peu au besoin, j’arrachai le papier avant de me mettre en quête du donneur d’ordre qui devait normalement, c’était inscrit sur l’annonce, se trouver dans les parages.

Ma recherche fut de courte durée : une silhouette encapuchonnée venait de lever le bras.

Des quelques histoires d’aventures que j’avais lues adolescent, allongé au côté de mon précepteur, j’avais retenu plusieurs faits intéressants.

1 – Une mission n’est jamais aussi simple que son énoncé le laisse entendre.
2 – Méfie-toi toujours de ton employeur, surtout (et c’était là une merveilleuse constante) s’il a l’air mystérieux.

Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi tous les employeurs cherchaient à se faire discrets, revêtaient systématiquement une vieille cape à capuche, ou se cachaient dans l’ombre. Il me semble que si j’étais à leur place je chercherais plutôt à mettre mes interlocuteurs en confiance, d’une manière à pouvoir négocier au mieux par la suite, peut-être autour d’un verre de vin ou d’une pipe d’herbe à chanter, que sais-je.

L’entrevue se passa comme je l’avais imaginé.

L’homme disait s’appeler Vern Hendrick. Il travaillait pour le compte du seigneur Richard Aschaffenberg dont la demeure était située à quelques heures de carrioles de là, sur une colline, plutôt une sorte de pic, battue par les vents. Ce nom me rappela un des cours d’histoire politique que mon précepteur aimait particulièrement. La famille Aschaffenberg était connue, puissante, et respectée dans tout le Reikland. Le seigneur venait de recevoir le château Grunewald en dotation, suite à son mariage avec la fille Von Brunner, une autre famille noble régnant sur un territoire immense comprenant une partie du Reikwald, l’immense forêt couvrant la région, et le Reik, le fleuve traversant cette zone.

Son problème était simple. La plupart des gens du château tombait malade mystérieusement. Certains portaient des blessures, de simples estafilades reçues pendant une chasse ou une garde un peu mouvementée, ou simplement en entrainant les chiens. Ces blessures ne guérissaient pas. Elles restaient ouvertes et suppuraient continuellement, provoquant douleurs et fièvres. Selon lui, quelque chose ou quelqu’un se cachait derrière cela et malheureusement, il ne disposait plus d’aucun personnel valide pour l’aider dans sa tâche.

Camillia négocia rapidement le tarif, plutôt élevé finalement eu égard à notre faible expérience et nous acceptâmes avec joie notre premier service commandé.

Dans la soirée, aidés du cocher de notre nouvel ami, nous mîmes en ordre nos affaires sur la carriole et partîmes en direction du château.

5 – Un voyage mouvementé

Le voyage fut épuisant, encore plus que si nous avions marché tout le long du chemin. La route était défoncée, parsemée de nids de poules, de caillasses et de bosses traitres. La carriole tenait bon malgré les grincements inquiétants des roues et les craquements de l’armature. Les deux chevaux tiraient facilement l’équipage qui ne portait ni bagages ni armures lourdes. A plusieurs reprises il nous fallut nous arrêter pour vérifier l’état du véhicule et faire le point sur notre position mais notre hôte savait où il allait.

LunesMannslieb, la lune jaune, éclairait notre chemin tandis Morslieb, la lune du Chaos, baignait les alentours d’une lumière glauque, effrayante.  Le château était installé sur une hauteur à l’orée d’un bois. Alors que nous approchions de la fin de notre périple, et que nous traversions les derniers mètres de forêt nous séparant de l’entrée du château, un hululement sinistre se fit entendre.

La carriole s’immobilisa devant les hautes murailles. Je commençais à comprendre que l’architecture de la région semblait privilégier les ouvrages défensifs et la pierre épaisse. Le faîte du château se découpait dans la nuit étoilée et nuageuse. Tout aussi romantique que puisse être cette vue, elle fut brutalement interrompue par une série de grognements bestiaux.

A ce moment j’étais juché sur le toit de la carriole, en train de défaire les maigres bagages de notre hôte. Frissonnant, je levais la tête et cherchais du regard l’animal capable de proférer de tels sons. Je ne fus que modérément surpris d’apercevoir une demi-douzaine de monstres, à l’allure et au faciès identique à ceux rencontrés dans notre village. Jamais je n’avais cru possible de voir une telle bestialité. Ces hideuses créatures était telles des chimères, des mélanges impossibles de bêtes et d’hommes. Certains se tenaient sur leurs jambes atrocement arquées et arboraient des têtes de boucs contrefaites, des museaux allongés de loups ou de chiens, d’autres possédaient des membres bien trop longs pour leurs corps, laissant trainer leurs mains sur le sol ou se frappaient la poitrine comme les animaux exotiques poilus rencontrés parfois sur la place des marchés lointains de Nuln. Mais cette fois aucun barreau de métal, aucune cage de bois épais ne les séparaient de nous. Poussant des cris gutturaux, des vibrations graves provenant de gorges inhumaines, ils attaquèrent.

Pris de rage, je criais à mon tour. Pour une fois, je n’étais pas effrayé. Une nouvelle détermination montait en moi. La haine s’emparait de mon esprit. Je voulais leur faire du mal, je voulais les tuer, faire entrer mon épée dans leurs entrailles, fouiller leurs chairs et me recouvrir de leur sang poisseux. Jamais je n’avais ressenti cela auparavant. Je n’ai jamais eu pour habitude de faire usage de violence, et surtout d’en tirer du plaisir. Il faut croire que j’avais changé.

Mon maitre se saisit de sa hache et d’un geste puissant l’abattit sur le crâne du premier monstre qui éclata comme un fruit trop mûr. Il se retourna et en frappa un autre, lui entaillant profondément la poitrine. Camillia dégaina à son tour pour recevoir la charge d’un troisième et l’empala jusqu’à la garde, coinçant son arme dans les tripes chaudes de son adversaire. Une odeur abominable s’échappa de son abdomen ouvert. Le sang jaillit en cascade, projetant de copieuses giclées aux alentours. Dans la confusion je vis le visage de mon maitre couvert du liquide carmin, la bouche déformée par les cris et les prières qu’il adressait aux dieux. Pris de frénésie à mon tour, je frappais du haut de mon abri les crânes des hommes-bêtes qui tentaient de venir me déloger. Mon épée perça l’œil de l’un d’entre eux, rentra complètement dans son crâne et ressorti à l’arrière avec un bruit de succion écœurant. Je venais de tuer pour la première fois. Je fus pris de vertige mais me forçait à rester debout. Mes oreilles bourdonnaient, mon cœur battait à tout rompre, mes yeux étaient collants, couverts de morceaux de cervelles échappés du crâne ouvert de mon adversaire. Je me nettoyais le visage avec mes manches, aussi sales que le reste de mes vêtements et m’aperçus que le combat se terminait. Les grilles du château venaient de s’ouvrir et les soldats nous faisaient signe d’entrer en agitant vigoureusement les bras vers nous. Il me semble, mais je ne suis plus très sûr de moi, qu’aucun d’entre eux ne soit venu nous aider et que les grilles n’aient commencé à se lever qu’après que la dernière des créatures se fut tue à tout jamais.

Nous entrâmes en hâte alors que d’autres cris se firent entendre en provenance de la forêt.

6 – Un accueil chaleureux

Nous fûmes immédiatement accueillis par le maitre de ces lieux, le seigneur Aschaffenberg, un homme massif, dans la force de l’âge, aux mains énormes et aux bras musclés. Il portait une barbe noire sur un visage expressif. Ses yeux bleus brillaient d’intelligence. D’un premier abord il paraissait bourruChateau mais je compris rapidement qu’il ne s’agissait que d’une façade. Avant d’être le dernier enfant d’une lignée millénaire, le seigneur était un véritable guerrier. Il avait servi en tant qu’officier dans les armées de l’empereur à Altdorf et avait combattu le Chaos sur le front Norsc alors que je n’étais encore qu’un enfant.

Il nous serra la main d’une poigne virile et nous présenta à l’ensemble des autres habitants. Nous commençâmes avec Grégor Piersson, le majordome. C’était un homme charismatique, de haute taille et fin comme une brindille. Son regard pénétrant me renvoyait d’étranges pensées et était difficile à soutenir. Il y avait aussi le docteur Stéfan Sieger, qui avec sa barbe poivre et sel, ses lorgnons ronds et son léger embonpoint affichait perpétuellement un air de bonhommie le rendant fort sympathique. Nous fîmes ensuite la connaissance de Korden Kurgannsson, le forgeron nain. Evidemment. C’était la première fois que je voyais un membre de cette race mais mon grand-père m’en avait déjà longuement parlé. Il parait que pour un humain, tous les nains se ressemblent. De petite taille il compensait par une musculature hors norme et un regard mauvais. Le capitaine Anders Blucher était le chef des gardes et à ce titre portait constamment sa cotte de maille défraichie et une épée longue dans un fourreau de cuir dont une lanière menaçait de rompre à tout instant. Il affichait un air préoccupé et je sentais dans son attitude que son travail était chargé et qu’il s’en faisait pour ses hommes blessés. Enfin Olver Gand s’occupait du chenil et des cinq chiens de chasse, de massifs molosses à la peau noire et aux dents aiguisées. Ses mains étaient entourées de bandages sales et il manquait une bonne moitié de son oreille gauche.

Nous n’avions que très peu d’affaires à dépaqueter, ce qui nous permit de nous installer rapidement dans les chambres qui furent mises à notre disposition. Camillia avait sa propre pièce tandis que le père Akney et moi-même partagions la nôtre. Les lits étaient frais et confortables et le ménage avait été fait récemment. Une des fenêtres avait un carreau fendu et laissait de temps en temps le vent passer au travers ce qui provoquait une sorte de sifflement plaintif un peu désagréable. Malgré cela, je considérais que nous aurions pu être plus mal logés.

Les mémoires d’un estudiant botanica Vol.1 – #1

Il y a quelques années je m’étais lancé avec quelques amis dans une campagne de Warhammer, un jeu de rôle germano-gothique dépeignant une Europe en pleine déliquescence, assaillie de toute part par les forces du Chaos personnifié par des armées de démons parcourant les campagnes et de sombres cultes oeuvrant dans les cités décadentes. Le scénario étant plutôt sympa, j’ai décidé d’en faire les comptes-rendus sont une forme novelisée. J’ai aussi saisi l’occasion pour m’entraîner aux descriptions et à l’agencement des scènes.

Basé sur une histoire existante, le texte suivant (en plusieurs parties) peut parfois être abscons pour les non pratiquants de jeu de rôle, ou de Warhammer en particulier, même si j’ai essayé de détailler certaines parties pour le clarifier.


1 – Ordalie

J’écris ce document alors que je suis encore en vie, Sigmar sait pour encore combien de temps. Rien ne pouvait me préparer à ce que j’ai vu. L’odeur de l’encre et le bruissement du papier sont les seuls alliés de ma santé mentale bientôt défaillante. Ce journal sera la preuve que les histoires de nos campagnes sont parfois bien plus réelles qu’on ne veut bien le croire. Les anciens avaient raisons. Le Chaos est parmi nous.

Je me nomme Ottavio Porsova et je suis, enfin j’étais, étudiant à l’université de Nuln dans laquelle mes parents m’avait placé malgré moi. Insouciant, je vivais la vie classique de la jeunesse dorée du Reichburg. La nuit de la cité n’avait aucun secret pour moi. Je m’amusais, dilapidant sans compter les richesses familiales. Mes professeurs me disaient plutôt intelligent et très observateur, toujours à trouver le détail et à en profiter, mais cultivant l’ennui et la fainéantise à des niveaux rarement atteints. Il est vrai que je prenais un malin plaisir à faire tourner mes enseignants, et mes parents, en bourrique dès que je le pouvais et qu’ils me rendaient bien volontiers la pareille.

La seule personne qui trouvait grâce à mes yeux était mon grand-père. Ce vieil homme avait une jambe de bois, un œil qui s’ouvrait mal et une audition capricieuse mais, je ne sais pourquoi, nous nous comprenions parfaitement. J’aimais passer du temps à écouter ses histoires de bataille. Il avait une manière bien à lui de mettre en scène ses récits, gesticulant et vociférant, m’impliquant à ses côtés, me confiant parfois des rôles que je tenais le plus sérieusement possible.

Puis un jour, je fis l’erreur de trop. Mes parents, d’ordinaire compréhensifs, décidèrent d’organiser pour moi un semestre à la campagne du côté d’Ubersreik, une ville fortifiée du Reikland. Officiellement il s’agissait d’apprendre la botanique sur le terrain, mais je crois plutôt qu’ils cherchaient à me punir.

Le maistre d’estude que je devais rencontrer était le père Akney, un vénérable prêtre officiant dans un village pittoresque de quelques dizaines d’habitants. La vie rurale et le bon air pur. La réalité fut tout autre.

Quelques heures avant d’arriver au village, ma caravane fut attaquée par des bandits de grands chemins qui me prirent toutes mes affaires. Ils déchirèrent mes vêtements, m’enlevèrent la cassette de mon oncle avec mes bijoux, même les vins fins que j’avais emportés pour faire ami-ami avec les autochtones furent renversés et bus au goulot par ces rustres. Battu, ayant subis les outrages de ces malandrins, c’est faible et épuisé que j’arrivais enfin à destination.

Mon apparence dû jouer contre moi car les paysans du cru, s’étant mépris sur mes intentions et voyant en moi un vagabond voleur de pomme me battirent de nouveau. Je mis quelques douloureuses minutes à dissiper le malentendu, sauvé de justesse par le père Akney. Grâce lui en soit rendue, il s’occupa bien de moi.

VillageAu début, l’apprentissage fut un peu douloureux. Mon éducation ne m’avait pas préparé à cela. Jamais, jusqu’à ce jour en tout cas, je n’avais eu à me servir de mes mains pour travailler.

  • Si tu veux manger, tu dois le mériter, me dit-il dès que mes blessures furent soignées. Maintenant tu prends le balai et tu me nettoie tout ça, compris ?

Ce n’était pas une question.

Je pris le manche qu’il me tendait et m’exécutai de mauvaise grâce.

Une fois le temple balayé, il me demanda de ranger les affaires. Puis de déplacer le tas de bois, puis de prendre la hache et de couper des buches. J’étais épuisé. Je dégoulinais de sueur. La vieille robe de bure qu’il m’avait donné sentait le rance. Et l’alcool.

J’étais là depuis deux jours et déjà des cloques se formaient sur mes mains fines. Des mains de musicien, me disait ma mère.

Pendant ce temps, mon maitre s’entrainait. Drôle de prêtre, pensais-je un jour alors qu’il venait de soulever d’énormes poids pendant une heure. Il courait, sautait, maniait la hache comme un guerrier.

Je n’avais jamais imaginé qu’un prêtre puisse s’entrainer physiquement comme lui. Parfois je l’observais en cachette, fasciné par son corps huilé par la transpiration, brillant sous les reflets de la lampe projetant une lumière tremblotante dans sa cahute, ses muscles roulant sous sa peau parcheminée.

C’est un soir, alors que j’étais en train de lire à la lueur d’une bougie dans la chambre qu’il m’avait donné dans l’étable, qu’il vint me transmettre une partie de sa sagesse.

Posant rudement sa main sur mon épaule, me maintenant fermement comme il l’avait déjà fait de nombreuses fois, mon maitre me parla de la vie et des choses de la campagne. Je n’eus pas le temps d’en savoir plus qu’un hurlement guttural se fit entendre. C’était un cri de bête sauvage, comme si un cerf en rut se faisait déchirer la gorge. Ce son me terrifia.

Mon maitre se releva d’un bond et fonça au dehors en saisissant la hache posée sur le tas de rondins et un petit bouclier posé juste à côté. Tremblant de tous mes membres, j’attrapai un vieux fléau dont il manquait la tête puis sortis sur la place du village.

A l’orée du bois, quelques dizaines de mètres à peine après le pont qui séparaient la place des premiers arbres, se trouvait une horde de monstres abominables. Ils étaient des dizaines, portant des torches et des armes rouillées et couvertes de sang séché. D’ignobles cornes tordues pointaient sur leurs crânes déformés, comme posées maladroitement sur des corps couverts de pus et de cicatrices. Leurs postures singeaient celles d’un être humain. Certains évoluaient accroupis, d’autres debout sur des jambes de bouc.

Mes yeux s’écarquillaient de terreur pure. Une terrible odeur de pourriture émanait de ces créatures, provoquant en moi une horrible nausée.

Homme-bêteC’est alors qu’ils chargèrent.

Le courage du père Akney, et sa grosse main m’attrapant par le col, me remirent les idées en place. Il fallait protéger les gens du village. Nous ouvrîmes les portes du temple, le seul bâtiment défendable, pour recueillir les habitants. Les hommes les plus téméraires prirent des armes de fortune et se barricadèrent là où ils le pouvaient. Nous refermâmes la double-porte et attendirent en silence, tentant de calmer nos cœurs qui battaient à tout rompre. Mon cerveau allait exploser. Une veine pulsait douloureusement sur mon front.

Au dehors les cris étaient atroces. Les monstres avaient dû attraper quelques malheureux retardataires. Je priai Mòrr pour le salut de leurs âmes tandis que j’entendais les corps déchiquetés et les os broyés derrière les vitraux sales de l’église.

Puis vint le feu. Ces créatures étaient plus intelligente que je ne le pensais. Le toit mal entretenu s’embrasait, la chaleur montait mais pire que tout une fumée âcre se dégageait des multiples foyers.

Nous n’avions d’autre solution que de fuir cet abri.

La plupart des monstres étaient occupés à défoncer les portes et à fouiller les maisons. Par chance, aucun ne nous attendait à la sortie. Nous ouvrîmes les portes et tentâmes de courir le long des berges de la rivière proche.

Une femme, plus aguerrie que les autres, nous guidait vers un bateau qui était attaché non loin.

Alors que nous progressions, un petit groupe de créatures surgit devant nous. De près l’odeur était épouvantable, un mélange d’effluves corporels puissants sous un vernis d’humus et de pourriture. Ils étaient une dizaine. Nous étions autant mais peu d’entre nous avait l’air de vouloir se battre. La femme qui nous emmenait dégaina une fine épée et engagea le combat. Elle parait, reculait et plongeaient avec efficacité. Les hommes du village étaient plus agressifs, plus maladroits aussi. Mon maitre faisait des moulinets dévastateurs avec sa hache, repoussant plusieurs créatures sous ses assauts. Son regard était comme celui d’un fou. Il ne se souciait nullement d’être blessé, n’utilisant que parcimonieusement son petit bouclier de bois et ne se reposant que sur son tablier de travail en cuir qui le protégeait heureusement fort bien des griffures, morsures et coups d’épées rouillées que les monstres s’acharnaient à lui porter.

Quant à moi, j’aidais les familles à se mettre à l’abri mais les perdis de vue rapidement. Attaqué à mon tour, je frappais à l’aveuglette, touchant aussi bien le sol que les démons cornus, ne blessant personne mais me mettant temporairement hors de portée de leurs coups. Par deux fois, je réussis à me soustraire à leur attention pour les assommer avec de grosses pierres que je ramassais sur le sol. Leur crâne épais laissait échapper des flots d’un sang visqueux et noirâtre. Malheureusement, ils étaient bien plus forts que nous.

Profitant d’une accalmie, j’entrevis une ouverture et me mis à courir à travers la forêt. Mes jambes mues par la peur semblaient douées d’une vie propre. Je ne pus m’arrêter qu’après de longues minutes d’une course éreintante. Mon maitre n’avait pu faire autrement et me rejoignis aussi. La femme qui nous accompagnait était là à son tour. Tous deux avaient été blessés gravement. Je déchirais un morceau de ma robe de bure pour confectionner des bandages de fortune. Ce n’était pas l’idéal, surtout à cause de la propreté douteuse du tissu, mais je ne pouvais faire mieux pour le moment.

Après avoir repris notre souffle nous décidâmes de retourner au village pour aider les survivants.

Les démons cornus étaient partis. Tous les habitants du village étaient morts. La plupart atrocement mutilés. Le visage de Georgina, la gouailleuse lavandière toujours prompte à la plaisanterie grivoise, me regardait de ses yeux vitreux, tandis que son corps gisait démembré à plusieurs mètres de là. Les entrailles du père Koskas étaient répandues sur le sol sortant de son abdomen d’une manière obscène. Les jumeaux Elias et Johanna, les jeunes enfants de Moira la douce, étaient cloués sur la porte du temple, un mandrin de bois en travers de la poitrine. D’autres encore étaient impossible à identifier, cadavres brulés dans leurs maisons incendiées. Partout du sang et de la chair détruite. Partout l’odeur de la mort et de la cendre, partout ce gout immonde dans la bouche.

Cette nuit-là je pris conscience de certaines réalités. Mon apprentissage fut rude et douloureux mais maintenant je comprends mieux les histoires de mon grand-père, les batailles qu’il m’avait décrites prenaient un jour nouveau.

  • Le Chaos est à nos portes, m’avait-il dit dans un souffle, un soir d’été particulièrement chaud. Otta, tu dois te préparer au pire. Tu devras être prêt lorsque la haine et le mal reviendront.

Comme je venais de le découvrir, le Chaos qu’il me dépeignait jour après jour n’était pas une simple affabulation d’un vieil homme blessé mais bien la transmission de l’expérience d’un valeureux guerrier.

Cette nuit-là j’ai connu l’horreur mais j’ai enfin pu voir la vérité.

2 – Le serment

Il ne restait que trois survivants : mon maitre, la femme qui nous avait aidés et moi-même. Tandis que nous parcourions les ruines, je voyais le vieux prêtre serrer les mâchoires à s’en déchausser les dents. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, ses mains étaient crispées sur le manche de sa hache, les jointures blanchies par l’effort. Il s’approcha de moi. Le son qui sortait de sa gorge n’était qu’un souffle.

  • Nous devons les venger petit. Nous devons nous relever, faire face au mal et le détruire. Je n’aurais de repos avant d’en avoir fini avec le Chaos. Nous devons rendre justice à ceux qui sont morts pour rien. Tu cherchais un enseignement, voilà pour toi l’occasion d’apprendre. Je combattrai seul s’il le faut, mais les dieux t’ont permis de vivre. Ils souhaitent que nous combattions ensemble. Alors je vais te le demander une seule fois : es-tu avec moi ?

Je ne savais que répondre. En quelques instants tout avait été détruit, tout avait disparu. Je n’avais plus rien. Plus rien que l’amour de mon maitre, plus rien que sa foi brulante en ce combat, plus rien que le fil de sa hache pour me faire vivre. Après ce que j’avais vu il aurait été impossible que je rentre à Nuln, que je retourne à cette vie bourgeoise et sans saveur. Je ne pouvais retourner voir mon grand-père et lui expliquer que j’avais eu l’occasion de combattre et que j’avais refusé. Je tenais l’occasion de marcher dans ses traces, de faire quelque chose de ma vie.

Je tendis une main tremblante vers le père Akney qui l’attrapa avec un claquement sonore. Je venais de sceller mon destin.

  • Et toi ? Nous accompagneras-tu sur la voie de la justice ? dit le prêtre en se tournant vers la combattante.

Elle repoussa négligemment une de ses mèches brunes qui retomba aussitôt sur son visage fermé. A cet instant, je m’aperçus que je ne connaissais rien d’elle, même pas son nom. Je savais juste qu’il s’agissait d’une sorte de libre commerçante qui amenait du matériel et repartait ailleurs avec des vivres plusieurs fois par mois. Elle utilisait un petit bateau sans ornements particuliers. J’imagine qu’elle devait ainsi s’affranchir des diverses taxes que les soldats du Reik faisaient peser sur les marchands.

Ses vêtements n’étaient pas particulièrement chics mais l’étoffe était belle et quelques discrètes bordures et banbreloques montraient qu’elle prenait soin d’elle. Sa rapière était de toute beauté. Cette femme, belle et indépendante, appréciait la qualité mais ne cherchait pas à le montrer à tout prix. Une nécessaire discrétion pour un métier dangereux.

Elle garda le silence de longues secondes, semblant peser le pour et le contre, bien loin de la fièvre guerrière de mon maitre. Enfin, elle se décida et tendit la main à son tour.

  • Tu peux compter sur Camillia de la famille Rosenroth vieil homme, nous dit la femme au regard dur. Je compris plus tard que donner son nom complet serait la preuve la plus importante que nous pourrions attendre de sa loyauté à notre groupe.

Mon maitre nous serra contre lui et leva les yeux au ciel. Son visage grimaçant, tendu vers les cieux, il émit une sorte de son de gorge grave, une prière incompréhensible mais dont les sonorités me donnèrent le frisson. Il s’adressait aux dieux. Il ne demandait par leur aide. Il leur adressait un message, un avertissement. Dorénavant, nous ne serions plus isolés, nous serions un groupe. Un groupe de justiciers.

3 – Au commencement

ForêtNous voyageâmes plusieurs jours, crapahutant dans la forêt, traversant fleuves et rivières. Nous chassions et péchions. Du moins, mes compagnons le firent. A mon grand regret, je ne leur fus que d’une piètre aide, me contentant de séparer les champignons comestibles d’autres plus mortels. Toutefois, j’appris beaucoup lors de cette période. Au-delà du pur apprentissage de la survie, nous formions une équipe, un groupe. Les épreuves nous soudaient et nous nous faisions tous les jours un peu plus confiance. Mon maitre me donnait des tâches de plus en plus gratifiantes, m’enseignait le combat à la hache et la manière de la lancer pour blesser un ennemi ou le déséquilibrer. Camillia savaient se faufiler, disparaitre à la vue de tous, se mettre sous le vent et faire du feu même dans les conditions les plus difficiles.

  • Survivre dans les bas-fonds des cités du nord est bien plus difficile que passer quelques jours dans les bois, nous dit-elle un jour.

Camillia n’avait pas l’habitude de se confier et ces quelques mots furent les rares informations qu’elle accepta de nous livrer à son propos.

Puis un jour, nous arrivâmes en vue des murailles austères et intimidantes de la cité d’Ubersreik. D’épais mâchicoulis ornaient les immenses murs de pierre percés de meurtrières. Des gardes revêches, armés de lourdes arbalètes, se trouvaient devant les remparts, parcourant sans relâche le chemin de ronde, attentifs à la moindre alerte. Deux grandes vasques étaient posées sur deux tours disposées au-dessus de la herse bloquant la porte principale. Il s’agissait d’un relai d’alerte destiné à prévenir les villages alentour qu’une attaque était en train d’être menée contre la ville. Une simple torche permettait de les enflammer, générant une lumière visible à plusieurs dizaines de kilomètre à la ronde.

Le chemin de terre menant à l’entrée se transformait en pavé épais et disjoint à mesure que nous approchions. Un homme muni d’une effrayante hallebarde s’approcha de nous. Les cernes noirs sous ses yeux et son rasage inégal en disaient long sur son état de fatigue. Son haleine chargée d’alcool achevait le portrait d’un homme fatigué, usé. Nous nous délestâmes promptement des quelques sous de cuivre demandé par le garde au titre du péage et entrâmes dans la ville fortifiée.

La nuit venait de tomber et une petite pluie fine et insidieuse venait de faire son apparition. J’enfonçais mon chapeau sur ma tête tandis que mon maitre levait son visage au ciel pour profiter de la fraicheur de l’ondée. Camillia désigna une bâtisse située dans la rue principale.

Voici l’auberge de la lune rouge, nous devrions pouvoir nous y reposer et sans doute trouver du travail.

Je poussai la porte et nous entrâmes dans l’auberge.

La légende de l’homme-colère

Il y a quelques temps de cela, j’avais écrit une petite histoire pour être incluse dans le Chagar, l’aide de jeu pour Bloodlust paraissant toutes les deux semaines. Elle n’a pas été retenue, alors je la poste ici, pour la postérité. L’histoire est normalement lisible même par des non-initiés à cet univers plein de magie, de rage, de mort et d’armes magiques même s’il reste quelques références.

Le style correspond à une manière de raconter que j’ai voulu proche des légendes orales échangées par les conteurs gadhars.


La légende de l’homme-colère

Il y a bien longtemps vivait dans la jungle un jeune homme plein de sagesse du nom de Madoumé. Il était le fils de Koumba, le chef du village et avait tout pour lui succéder. Il aimait accompagner son père lors des chasses rituelles et écouter son savoir. On raconte aussi que Madoumé possédait des pouvoirs magiques. Il savait prévoir le temps et pouvait parfois l’appeler pour aider les chasseurs et les cueilleurs dans leur travail.

Un jour, lors d’une rencontre festive entre tribus, il rencontra une jeune fille de son âge. Abakou était belle, grosse et fertile et Madoumé la séduisit en utilisant le chant des anciens, comme son père la savait et son père avant lui. La magie dans sa voix, les yeux étincelants de Madoumé et sa position dans le village eurent raison des réticences de la jeune fille et le soir même Abakou et Madoumé s’aimèrent.

Le lendemain, la réunion des tribus sombra dans le rouge et le vert. La tribu des guerriers Jikola s’était parée des couleurs de la mort et les guerriers fondirent sur les amis de Madoumé. Le sang coula ce jour-là et dans l’agitation les amoureux furent séparés. Madoumé était blessé car sa jambe avait été transpercée par une lance ennemie. Son corps trembla de longues lunes pendant lesquelles son esprit cherchait Abakou. Lorsqu’il se réveilla, il tenait un bâton de marche cerclé de fer, un cadeau que son père avait fait fabriquer pour lui. La jambe de Madoumé ne reviendrait jamais et il aurait maintenant toujours besoin d’aide.

Tous les jours après son réveil, il essayait de marcher, mais la douleur et la fatigue l’empêchait de rester debout très longtemps. Malgré les conseils de son père et des autres membres du village, il ne put oublier celle qu’il avait aimée. Tous les jours, il pensait à elle, jetant son bâton à terre de rage, le reprenant ensuite et gravant sur celui-ci les signes de son amour. Un cycle complet se déroula ainsi, Madoumé luttant à la fois contre la douleur de son membre perdu, et contre son esprit qui lui envoyait sans cesse des images d’Abakou. Puis un jour, un éclaireur revint au village les yeux fous et le front couvert de sueur. Il avait retrouvé la trace des Jikola et Abakou était parmi eux.

A ces mots, Madoumé se redressa sur sa jambe à l’aide de son bâton et s’adressa à ses amis. Ce soir-là il parla longuement, utilisant le chant des anciens comme d’un aiguillon acéré pour piquer l’âme des villageois et leur donner l’envie de se venger. Sa langue était de miel et chacun buvait ses paroles tandis que la colère montait. Enfin il leva le poing et se dirigea vers le camp de ses ennemis.

Les Jikola étaient de grands guerriers mais ils furent surpris par la rage du peuple de Madoumé. Ils se tenaient paralysés en voyant les visages déformés de leurs assaillants. Alors que Madoumé levait son bâton au-dessus de sa tête, prêt à tuer le chef des Jikola, il fut interrompu par un cri. Il se retourna et fit face au visage d’une guerrière qu’il reconnut immédiatement.

La voix de Madoumé gronda comme le tonnerre au travers de la pluie qui tombait en trombe dans la jungle. « Que fais-tu mon aimée ? Pourquoi m’empêches-tu de tuer celui qui t’a arraché à moi ? ». Et Abakou répondit : « Je ne suis pas ton aimée Madoumé, et je ne te laisserai pas tuer mon père. ». Aucun mot n’aurait pu faire plus de mal à Madoumé. Il comprit alors qu’il n’avait été qu’un instrument, qu’un jouet dans les mains de la belle Abakou, envoyée pour le distraire tandis que les Jikola tuaient et s’abreuvaient de sang. Quelques instants passèrent, seulement ponctués du râle lointain des agonisants et de la pluie qui battait les feuilles de la canopée.

Puis Madoumé hurla tellement fort que le son de sa voix s’entendit dans toute la jungle. Les pères eux-mêmes se retournèrent. Touché par se détresse, ils le bénirent pour l’aider à se venger. Sans s’arrêter de hurler, Madoumé frappa et frappa encore. Il tua le chef Jikola en lui perçant le cœur puis il tua Abakou en lui fracassant le crâne. La mâchoire crispée, le cri de Madoumé mourut dans sa gorge. Les yeux fous, il se tourna vers les survivants et entrepris de les tuer un par un. Ce jour-là tous les Jikola moururent. Mais sa rage ne s’arrêta pas et tandis que l’orage explosait au-dessus de sa tête et que le ciel se zébrait d’éclairs, il se retourna contre ses amis et les tua à leur tour sans leur laisser aucune chance ni répit.

Une fois sa vengeance assouvie, Madoumé disparut dans la jungle pour toujours. Nul ne sait ce qui lui arriva ensuite mais lorsqu’on entend l’orage là où il n’y avait rien, lorsque le tonnerre tonne plus fortement que d’habitude, nous savons que Madoumé, l’homme-colère est peut-être là, dehors et hurle.

Certains racontent l’avoir vu dans les plaines du centre. Une fois par an, lorsqu’Oephis croise Naenerg, le ciel s’ouvre et la pluie tombe pendant sept jours. On dit que ce sont les larmes de l’homme-colère qui pleure la mort des siens et qu’il se tient là, sur la plus haute colline attendant ceux qui pourront le tuer et ainsi le délivrer de sa malédiction.

 

Soirée mortelle

MéganeIl devait être près de 22h ce soir-là lorsque nous sommes arrivés en vue de la maison de Loïc. On était quatre dans la voiture. Y avait Mathilde ma best friend forever, John, le beau gosse dont toutes les filles étaient amoureuses, et qui se trouvait être mon frère, et puis Lucie aussi. Une peste qui se teignait les cheveux en rouge et qui se mettaient des boucles d’oreilles en formes de croix inversées pour faire sombre et mystérieux. N’empêche qu’elle savait conduire et qu’elle avait sa propre voiture. Et moi Mégane, la plus petite de la bande. Loïc nous avait dit : « Vous allez voir, on va s’éclater. J’ai la maison des parents pendant tout le week-end et Michel est allé faire les courses au supermarché. On va picoler grave. » Moi, j’avais jamais vraiment bu.

Jusqu’à hier soir.

On était sortis en boite avec les copines et pour pas passer pour une cruche, j’avais pris un truc. Rien de grave, c’était un kirsch, je crois. Ou un kir, je sais plus. Y’avait de la musique forte. On était venus là pour fêter la fin des cours, pour décompresser un peu quoi. Bref, j’ai pris un verre puis un deuxième qu’un mec m’avait offert. Hyper sympa, brun avec une mèche qui lui tombait sur les yeux et surtout, un sourire à tomber de sa chaise. Il m’a dit que j’étais jolie, qu’il n’avait jamais vu une fille comme moi. Je suis devenue toute rouge et j’ai rigolé bêtement. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Je me souviens plus de quoi on a parlé mais je sais juste qu’il a fini par m’embrasser dans les toilettes. C’était mon premier vrai baiser. Il était plus grand que moi et il savait y faire. À un moment il m’a dit qu’il allait me laisser un souvenir. Il m’a embrassée dans le cou. Ça m’a piqué un peu mais j’ai adoré ça. Il m’a fait un gros suçon puis il est parti en me laissant là comme une conne. Sans même me filer son numéro ni aucun moyen de le revoir. De toute façon je n’y pensais même pas. C’est sûr que je pensais pas trouver mon prince charmant dans une boite de nuit pourrie de la banlieue parisienne mais quand même. La soirée a continué mais je me suis senti vraiment fatiguée. Ce sont mes potes qui m’ont ramenée chez moi. Je racontais n’importe quoi. Enfin, au moins il s’est rien passé de grave. J’ai bien trouvé John qui dormait dans le canapé, il n’avait même pas eu le temps d’aller dans sa chambre cet imbécile.

J’ai dormi toute la journée je crois. Si ça se trouve y avait pas que de l’alcool dans le verre. Ma mère m’avait dit une fois qu’il fallait se méfier quand on vous offrait quelque chose, surtout si c’était un inconnu. Enfin là, le mec il m’avait embrassée, c’était plus vraiment un inconnu non ?
À un moment, John s’est levé et m’a dit qu’il fallait partir.

Tu te rappelles qu’on doit aller chez Loïc ?
– Mais c’est ce soir ! rétorquai-je d’une voix pâteuse.
– Heu ouais, mais ce soir c’est maintenant en fait. T’as dormi comme une masse, poulette. Allez, va te doucher et on y va vite. Hé, mais c’est quoi ça ? me demanda-t-il en pointant mon cou d’un doigt accusateur.
– C’est rien, laisse tomber.

J’ai pris un foulard qui trainait là et je l’ai mis autour de mon cou. J’allais quand même pas tout raconter à mon frère non ? C’est personnel ces choses-là. Par contre, aussitôt douchée je disais tout à Mathilde. Elle était trop contente pour moi. Elle m’a dit qu’elle connaissait le gars, un mec qu’elle avait déjà vu au lycée.

Après la douche, je me suis senti hyper bien. J’ai mis une petite robe noire et des boucles dorées. Un peu de maquillage sur les yeux pour me donner un air un peu plus vieille et du gloss. J’étais belle et je le savais. J’avais des vues sur Loïc depuis un moment mais je n’avais jamais osé lui parler. Avec ce qui s’était passé dans la boite, j’avais pris un peu confiance en moi. Ce soir, c’est sûr, je l’embrasserais !

Mon ventre se mit à gargouiller. Forcément après 24 heures sans manger. Mais rien ne me disait. De toute façon la robe était trop serrée pour que j’avale quoi que ce soit et le frigo était vide. On était vendredi et ma mère ne faisait les courses que le samedi.

Le klaxon de la voiture de Lucie sonna deux fois, c’était l’heure de partir. Un dernier coup d’œil dans le miroir (j’avais une mine affreuse mais ça allait quand même), un remontage de collant, une retouche de gloss et c’était parti.
On a mis un temps infini à trouver, c’était hyper mal indiqué et le GPS était complètement paumé. Y’avait comme une sorte de brume. Les autres n’y voyaient rien. Moi ça allait, avec la lune et les étoiles on y voyait quand même un peu. Loïc était sur la route avec une lampe-torche pour nous indiquer le chemin. La maison de Loïc était une sorte de manoir au milieu des bois avec un grand terrain et de la brume qui brillait dans la clarté de la lune. Super bizarre, on aurait dit des effets spéciaux. Il nous a guidés jusque sur le parking puis nous a emmenés dans la maison. J’ai frissonné en entrant, je ne sais pas pourquoi.

À l’intérieur on aurait dit un manoir de vieux films. Y avait un feu qui brulait dans une grande cheminée. Un gros feu même, c’était flippant, on aurait dit qu’il cherchait constamment à s’échapper. Au-dessus de la cheminée trônait une grosse tête d’ours. Loïc nous a dit que c’était son père qui l’avait tué à la chasse il y a quelques années. Et il y avait même la peau de l’ours sur le sol. Lucie faisait toujours la tête, elle disait qu’il ne fallait pas tuer les animaux, qu’ils n’avaient rien fait. Qu’ils n’étaient guidés que par l’instinct. Et que s’ils tuaient, c’était juste pour manger. Elle disait ça d’un air de reproche, comme si on y pouvait quelque chose. Moi ça m’a fait mal au cœur.
Mathilde est partie dans la cuisine avec John. Elle rigolait bêtement en regardant mon frère. De là où j’étais j’arrivais encore à les entendre glousser. Qu’ils étaient bêtes, tout le monde voyaient bien qu’ils voulaient s’embrasser.
Ce qui a permis à la fête de commencer c’est quand Michel est arrivé avec les bières et la tequila. Je mourrais littéralement de faim et de soif. Ma robe me serrait alors j’ai ouvert un des boutons sur le devant. Tant pis si trop mon décolleté baillait un peu trop. Michel s’est approché de moi et s’est penché pour m’embrasser. Il avait une drôle d’odeur. Un truc écœurant, comme s’il s’était enduit le visage avec de la mousse et des écorces d’arbres. C’était mélangé à de la sueur. Même son regard était bizarre. Mince, il voulait quoi à la fin ? Lorsqu’il m’a embrassé j’ai tourné la tête. Je ne voulais pas le vexer mais c’était plus fort que moi. Il avait une grosse veine qui battait sur son front. Berk.
Je me suis dépêchée d’aller voir Mathilde. Au moins personne ne l’embêtait elle.

– Je crois qu’il veut te chopper, me dit-elle soudain sans me regarder.
– Hein ? Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant ?
– Je sais pas. T’aurais peut-être pas du t’habiller comme ça. On voit tout là.
Comment ça ? J’étais habillée parfaitement normalement, un peu jolie mais sans plus. C’était pas option découverte non plus !
– Heu d’abord je m’habille comme je veux ! rétorquai-je.

J’avais du parler un peu trop fort parce que tout le monde s’est retourné vers moi. Rouge de honte, je suis partie bouder dans un coin en remettant en place ce satané bouton. La fatigue aidant je me suis assoupie.
Lorsque j’ai ouvert les yeux la soirée avait bien commencé. Tout le monde dansait. J’aimais bien cette chanson de Ace of Base qui passait souvent à la radio. J’avais les oreilles qui bourdonnaient, un mal de ventre terrible et tout me paraissait ralentit. Comme si je bougeais dans du coton.
D’un coup j’ai vu Loïc qui montait à l’étage en titubant, une bouteille à la main. D’un geste du menton il m’invita à le rejoindre. Il était beau. Grand et fin comme un personnage de manga. Il avait une chemise blanche qu’il avait laissée ouverte sur son torse imberbe. J’aurais voulu y plonger mes ongles. L’attraper et le serrer contre moi.
Alors que le reste de la bande était resté en bas, je prenais l’escalier. J’entendais encore les cris et les rires de Mathilde, John et Michel. Même Lucie avait laissé tomber le masque et avait l’air de s’amuser. Ils avaient des postures étranges, presque grotesques.

Loïc sentait bon. D’un geste il me prit par la taille, m’attira contre lui et m’embrassa. J’étais un peu déçue, il n’était pas aussi bon que l’inconnu de la boite. Alors j’ai pris les choses en main. Je l’ai bousculé sur le lit de ses parents. Il s’est débattu un peu alors que je lui maintenais les bras et que je descendais lentement ma bouche sur sa poitrine. Je suis allée jusqu’à sa ceinture que j’ai enlevé d’un coup de dents. Comme si j’avais fait ça toute ma vie ! Je n’avais même pas honte, je me suis juste demandé comment j’avais fait aussi vite. Loïc ne bougeait plus, je crois qu’il en attendait plus. J’entendais encore les bruits en bas, c’était toujours la même chanson qui passait. J’avais l’impression d’entendre toujours la même chose, les mêmes rires, les mêmes blagues qui se répétaient.

Loïc s’était renversé du vin dessus. Sa chemise était maculée de rouge mais il ne disait rien. Il devait avoir trop bu. J’ai léché le vin, tout le vin. C’était épais et sombre. J’ai rigolé. Loïc ne bougeait toujours pas. Ses bras, que j’avais maintenu en l’air, faisaient un angle bizarre avec sa tête. Quand j’ai fini, Loïc s’était endormi.
Un peu vexée que ma première expérience n’aille pas plus loin, je suis redescendue. Il n’y avait pas de musique, pourtant je l’entendais encore. Mes amis étaient allongés sur le sol, pourtant je les voyais encore danser. Les flashs se succédaient dans ma tête, comme si je voyais plusieurs films en même temps, comme si toutes les scènes se mélangeaient, se jouaient l’une sur l’autre. Je ne savais plus où j’étais. L’image du garçon de la boite m’apparut, ses mots susurrés alors qu’il m’embrassait :

« Cela fait longtemps que je te cherche. Tu es différente des autres. J’ai besoin de toi pour m’aider mais il faut que tu te révèles toute seule. Que tu montres ta force. Là où je t’emmène tu seras seule. Je vais te laisser un souvenir. »
Autour de moi tout le monde était mort. Mathilde et John étaient pendus dans la cuisine. Michel avait été égorgé et Lucie était clouée à la cheminée, un tisonnier lui transperçant la poitrine. Au premier étage Loïc était disloqué, ses épaules et son cou brisés. J’étais couverte de sang des pieds à la tête. Je voyais encore mes amis tenter de s’enfuir alors je brisais leur corps au son de « All that she wants ».

On frappa deux coups à la porte. Dégoulinante, marchant comme un zombie, j’ai tourné la poignée. Mais il n’y avait que le vent. Personne d’autre que mon imagination. Personne pour m’aider. Juste une voix qui résonnait dans ma tête, la voix de mon maître.